AUDITION AUPRÈS DE LA MISSION NATIONALE D'ÉVALUATION SUR LA RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL (MNE)


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26 septembre 2002


Les accords nationaux signés avec le gouvernement par certains syndicats de personnel hospitalier d'une part, et par l'ensemble des organisations syndicales médicales d'autre part, avaient 3 objectifs. Il s'agissait, dans un mouvement important de transformation du fonctionnement hospitalier:
· d'améliorer les conditions de travail,
· de réorganiser les activités médicales autour et en faveur du patient,
· de favoriser les recrutements dans un secteur à forte capacité d'emploi.

L'objet de cette audition est d'évaluer la mise en œuvre de ces objectifs et de faire des propositions prenant en compte la dégradation de la situation des hôpitaux.


I - Mise en œuvre de la RTT : un espoir et une volonté affichée ; le constat : déception, doute et incompréhension.

A partir des objectifs précités, force est de constater la très grande difficulté de mise en œuvre.

1 - l'amélioration attendue des conditions de travail

Pour le personnel médical, les conditions de travail ont été et sont dépendantes de trois facteurs essentiels : la taille des équipes, les contraintes liées à la permanence des soins, les conséquences du vieillissement et de la féminisation de la communauté médicale.

Actuellement, aucun de ces facteurs n'a fait l'objet de mise en œuvre et parfois même de propositions d'amélioration. Les équipes restent donc fragiles ; celles sur qui reposent la permanence des soins sont contraintes à l'extrême ; les choix démographiques restent flous. L'amélioration des conditions de travail est en devenir. On peut même souvent constater sa dégradation.

2- La réorganisation des activités autour et en faveur du patient n'a pas eu lieu.

Pour le temps médical, la charge de travail augmente parallèlement à celle des missions de l'hôpital dans son ensemble. De plus, politique sécuritaire et vigilances, gestion médicale et économique, mise en œuvre des procédures d'accréditation et maintenant d'évaluation (dont la MNE est un exemple) s'accumulent non sans légitimité mais avec d'autant plus de poids que la bureaucratie hospitalière va croissante

Dans le même temps, le système de santé a subi le choc de trois facteurs profondément restructurant. Ce sont les contraintes financières, les conséquences de la planification, les exigences des normes sécuritaires. Ces trois facteurs ainsi que l'agitation de la médecine libérale ont entraîné des transferts d'activités non maîtrisés entre le secteur privé et le secteur public. Le champ de la périnatalité, les urgences, la chirurgie et la psychiatrie en sont des exemples parmi d'autres.

Dans ces conditions, nous estimons que le temps de soins que peut consacrer le médecin hospitalier à ses patients est inférieur à 60% de son temps de travail. Les activités cliniques en faveur du patient s'exercent de plus en plus sous tension, tension que le vernis de l'amélioration de la qualité ne permet pas de dissimuler. Enfin des activités pourtant très promotionnelles comme la recherche clinique et parfois la formation, sont fragilisées voire remises en cause.

Le temps soignant : Des phénomènes analogues interviennent sur la transformation des activités soignantes. L'évaluation du temps infirmier journalier par patient a été évaluée à 14 mn environ et encore ces minutes se réduisent-elles souvent à privilégier les actes techniques et le contrôle des constantes du patient au sacrifice de la relation humaine. Dans les équipes, les difficultés de recrutement, la gestion de l'absentéisme, l'accroissement du stress et de la pénibilité induisent des trouées d'insécurité. Les fermetures de lits d'unité ou de service qui sont mises en œuvre de façon plus ou moins sauvages participent au transfert d'activité non maîtrisée et à la désorganisation du système au détriment du patient.

Le temps administratif : A l'hôpital, chacun est sur son fuseau horaire dans un archipel des temps et des moments qui caractérisent une organisation éclatée. L'administration vit au rythme des annualités budgétaires et au rythme des autorisations. En décalage avec le temps médical et le temps soignant, en ayant trop souvent une organisation hiérarchique lourde et éloignée, le temps administratif est-il au service des équipes et du patient ou n'a-t-il pas tendance à fonctionner pour son propre compte ?

Au total, la mise en route de la RTT s'est accompagnée d'une volonté affichée de réorganisation des hôpitaux au profit des patients. Mais le calendrier imposé et la méthode choisie ont été irréalistes. La circulaire du 30 janvier fixait en juin dernier l'échéance des propositions de réorganisation hospitalière et inter hospitalière. La circulaire du 26 juillet repousse à l'automne ces propositions. Sur le terrain, le poids de l'autonomie des établissements, le doute et la déception des personnels, la déresponsabilisait et la fragilisation de la communauté médicale explique l'immobilisme.

3) Favoriser les recrutements dans un secteur à forte capacité d'emploi.

Cet objectif paraît d'autant irréaliste que si on excepte les mesures visant à augmenter les capacités d'accès aux écoles d'infirmière, les choix démographiques ont été marqués par l'imprévoyance voir le contre sens. Pour les personnels, le plan triennal de recrutement aboutit à un saupoudrage inefficace. Quant aux engagements présents dans le protocole médical de 2001, ils n'ont été tenus qu'en apparence. A titre d'exemple, en 2002, on a assisté à la création de postes virtuels. Tel un prestidigitateur, les interlocuteurs gouvernementaux font reculer les échéances de création de postes au fur et à mesure que l'horizon recule. Le sentiment de tricherie sur les calendriers et les recrutements prend de l'ampleur. La fongibilité des financements répond à une logique de souplesse et de responsabilisation des régions. En pratique elle autorise l'utilisation de ce financement pour parer au plus pressé sans rapport souvent avec l'objectif initial.

II - Propositions de la CMH

1) Rendre crédibles les recrutements médicaux à l'hôpital

Tout en renouvelant la demande que se poursuive l'élargissement du numerus clausus pour aboutir, sur quelques années, à 7000, de nouvelles propositions doivent permettre d'assurer une dynamique nouvelle aux recrutements médicaux.

La CMH fait notamment cinq propositions :

· Il s'agit d'abord, appuyé sur la réforme du 3ème cycle des études médicales d'augmenter de façon très significative le nombre des internes DES. Celui-ci a été diminué par deux au cours de la dernière décennie. . Actuellement les statuts juniors représentent 13000 étudiants à l'hôpital contre à peu près 30 000 au début des années 80…. Son augmentation doit répondre aux soucis de rajeunissement des communautés médicales hospitalières au dynamisme qu'apportent les échanges inter générationnels, au redéploiement de force vive dans les spécialités médicales. A ce titre, les spécialités émergentes telles la gériatrie et la médecine d'urgence doivent voir leur reconnaissance assurée. D'une façon générale une réflexion rapide doit être menée sur les statuts médicaux juniors à l'hôpital.

· Dans le même esprit, l'élargissement du nombre des assistants et en particulier des assistants spécialistes est un vrai enjeu. La CMH est favorable à un post internat obligatoire. Cette obligation doit être accompagnée d'une véritable reconnaissance des assistants. Leur carrière devrait être intégrée en parallèle du début de carrière de praticien hospitalier. La création de poste d'assistants spécialistes en CHU doit être limitée à la gériatrie et à la médecine d'urgence. Au-delà, une remise à plat de l'ensemble du post internat pourrait, éventuellement, permettre de faire d'autres propositions au niveau des CHU.


· Le nouveau statut des attachés telles qu'il a été discuté en 2001 et repris par l'actuel ministre doit être validé et crée. Il peut permettre d'assurer un lien retrouvé entre la médecine de ville et la médecine hospitalière. Il doit permettre d'assurer une souplesse nécessaire au fonctionnement du service tout en préservant les droits des attachés. Le protocole d'accord prévoit un objectif de création de 3500 postes dont 2000 en 2002 et 2003. La réflexion devrait donc intégrer ces propositions et notamment voir élargir les créations de postes d'assistants.

· Il faut assurer, dans l'équité et dans certaines conditions, la reprise d'ancienneté des praticiens libéraux qui veulent faire carrière à l'hôpital. Naturellement, le corollaire signifie que la reprise d'ancienneté doit s'appliquer à celles et ceux qui ont travaillés à l'hôpital sous des statuts temporaires.


· Il faut favoriser la venue des chefs de clinique et assistants spécialistes par des mesures spécifiques liées au statut d'assistant d'une part au niveau d'intégration d'autre part. Cette mesure est indispensable pour favoriser la promotion de la compétence.


2) Redonner place au choix sur les modes de réalisation de la RTT : Temps compté, temps payé, temps cumulé.

60% des praticiens hospitaliers souhaitent prendre leur jour de RTT au fil de l'eau. 25% acceptent une rémunération correspondante. Actuellement le CET n'a guère de crédibilité.


Au moment où le temps médical est rare, l'assouplissement par paiement de jours RTT mérite d'être reconduit après concertation. Une place doit être donnée à la reconnaissance financière du travail sur la base du volontariat.

3) Revaloriser les astreintes, revisiter certains textes réglementaires sur la permanence des soins

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La permanence des soins est une contrainte majeure mais indissociable du service public hospitalier. La réorganisation des plans de garde se fait avec difficulté et lenteur. La revalorisation des astreintes pourrait avoir un effet incitatif fort permettant de réorganiser les lignes de garde dans un souci de compétence et de niveau d'activité.

La place des jeunes générations doit être revue dans l'organisation et les responsabilités en garde. A titre d'exemple, les internes de 3ème et 4ème année de réanimation peuvent dans certaines conditions, participer au système de garde. Sans remettre en cause les principes qui ont dicté l'objectif de séniorisation, une réflexion doit permettre de reconnaître les compétences acquises au cours du 3ème cycle et notamment dans sa 2ème partie.

Enfin, certains textes réglementaires doivent être revus. Il en est ainsi, par exemple, des textes concernant les services d'accueil et d'urgence dont le niveau d'exigence normative ne correspond pas toujours à la réalité.


4) Directives européennes.

L'intégration des directives européennes introduit la notion de repos compensateur dont chacun s'accorde à reconnaître la légitimité. De plus, elles introduisent aussi une référence horaire de travail maximum. Cette référence jette le trouble dans une démarche où le temps de travail ne peut pas être compté en heure pour l'activité médicale. Une harmonisation du mode de comptage du temps est donc nécessaire. Pour la CMH le comptage horaire est étranger à la pratique médicale. Une harmonisation européenne serait souhaitable.


5) Lever la confusion sur la notion de soins continus.

Certaines activités normées sont dite à soins continus (réanimation, urgences, obstétrique sous certaine conditions, anesthésie). Les textes sur la RTT font, par ailleurs, référence à l'organisation en soins continus. Il se crée une confusion préjudiciable. La permanence des soins exige une organisation variable d'un territoire à l'autre. Le plan de gardes et astreinte devenu plan de permanence des soins la définie. Par ailleurs, selon les accords conclus les services optent pour une organisation du travail en soins continus segmentés ou en demi journées.


Actuellement seul le secteur des urgences semble opter pour la première formule. Enfin les activités normées doivent satisfaire à des exigences réglementaires.

6) Création de projets médicaux par territoire.

Sauf à remettre en cause l'accès aux soins, la mise en œuvre de la RTT doit s'accompagner de réorganisation territoriale et de réorganisation des activités médicales. Si dans sa présentation initiale le gouvernement avait indiqué que la réorganisation médicale devait charpenter la mise en œuvre de la RTT il n'en est rien. Les protocoles RTT des personnels et des médecins ont évolué en parallèle sans pont aucun. La réorganisation territoriale suit le long fleuve des SROS .

La création d'équipe de taille suffisante peut être imaginée de deux manières ; il s'agit soit du regroupement d'équipe sur un seul site soit de la création d'une équipe commune intervenant sur un territoire donné. La 1ère hypothèse aboutit souvent à la création de mégapole ne répondant au besoin de la population ni à la réalité de la planification territoriale. La création de projets médicaux par spécialité et par territoire permet de répondre à l'objectif de concentration technologique et aux contraintes liées à l'aménagement du territoire. Pour ce faire, l'impact des primes d'exercice multi sites est encore insuffisamment utilisé. Ce mode de promotion doit être développé. Par ailleurs, les projets par spécialités doivent s'appuyer sur l'action des sociétés savantes et trouver, auprès des ARH, une logistique et un soutien actif (moyens informatiques et de communication, dossiers médicaux…) Dans tous les cas, une responsabilité médicale retrouvée doit être affirmée..

La situation actuelle se caractérise par une perte de confiance quant à la capacité de mettre en œuvre un accord national. L'impression prédominante est celle d'un marché de dupe. Pour rétablir la confiance il faut établir des calendriers réalistes et en tirer les conséquences en terme de rémunération et de recrutements.

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