1. LA MUTATION DE LA DISCIPLINE CHIRURGICALE
Depuis 15 ans, la chirurgie française est en mutation.
a) Cette mutation est d'abord humaine.
Le chirurgien intervient maintenant au sein d'une équipe
pluridisciplinaire composée de médecins, d'infirmières
en théorie spécialisées, d'ingénieurs...Mais
selon qu l'on exerce en clinique, en CHU ou dans un centre hospitalier,
les qualifications sont souvent différentes en particulier
pour les infirmières. Quant à la diminution drastique
du nombre des internes et, plus généralement,
des statuts juniors, elle modifie les équilibres générationnels
de l'équipe.
Dans cette équipe opératoire, le champ de la responsabilité
du chirurgien a été transformé. Vis-à-vis
de l'opéré, les changements législatifs
récents concernant l'information et la responsabilité
génèrent des incertitudes voire des inquiétudes
profondes. Vis-à-vis de l'équipe, le chirurgien
est-il capitaine, chef d'orchestre ou premier violon ?
b) La mutation de la chirurgie est aussi technologique.
L'irruption des écrans et des ordinateurs, le développement
de l'endoscopie et de la robotique, celui des prothèses
et des implants de plus en plus miniaturisés et opérationnels
a radicalement transformé l'exercice chirurgical. La
médiatisation de ces technologies influence la demande
des patients. Pour le chirurgien, pour l'équipe, les
problèmes de formation, de disponibilité liés
au coût induit, la place de l'évaluation sont autant
de facteurs de changement.
c) La mutation est organisationnelle.
Les schémas régionaux ont concentré sur
les services d'accueil et d'urgence, presque tous publics, la
prise en charge de la permanence chirurgicale. La complexité
des interventions lourdes justifie des liens nouveaux avec les
secteurs de réanimation et d'imagerie médicale.
Dans le même temps, l'évolution des techniques
d'anesthésie et la demande des patients ont provoqué
le développement de la chirurgie ambulatoire. Ces transformations
organisationnelles qui définissent de nouveaux territoires
d'action et de responsabilité n'ont que rarement impliqué
les chirurgiens hospitaliers qui en ont été souvent
plus spectateurs qu'acteurs.
d) Enfin, la demande chirurgicale est elle-même en
mutation.
Ce que la DREES appelle la chirurgie fonctionnelle (cataracte,
chirurgie prothétique articulaire, hernie, éveinage...)
constitue, avec le vieillissement de la population, une part
croissante de l'activité chirurgicale.
Avec plus de 1 100 000 séjours, la chirurgie fonctionnelle
constitue maintenant le quart de l'activité chirurgicale
française. La demande se diversifie en fonction, notamment,
de l'information mise à disposition de l'opéré.
Cette chirurgie fonctionnelle est prise en charge au trois quart
par le secteur privé. En urgence l'hôpital constitue
le recours privilégié.
2. DEMOGRAPHIE CHIRURGICALE : COMBIEN DE BISTOURIS
a) La démographie des chirurgiens connaît des caractéristiques
voisines de la démographie médicale générale.
Féminisation et vieillissement y sont constatés.
La diminution, déjà évoquée, du
nombre des internes et des juniors déplace la courbe
de Gauss alors que la contrainte de la permanence augmente la
pénibilité. La diminution déjà sensible
du nombre de chirurgiens dans de nombreuses spécialités
est d'autant plus perceptible que la spécialisation et
l'hyperspécialisation ont caractérisé l'action
chirurgicale notamment dans les hôpitaux publics.
b) Les errances de la répartition et de la distribution
des spécialistes chirurgicaux aggravent le phénomène.
Cela est d'autant plus perceptible que la complémentarité
entre spécialités fonctionnelles n'existe pas
toujours. Ainsi, dans la région Centre, 2 anesthésistes
sur 3 exercent à l'hôpital public alors que 2 chirurgiens
et 2 obstétriciens sur 3 travaillent en ville.
c) La réduction du temps de travail et l'application
des directives européennes, dans des calendriers souvent
irréalistes, conduisent globalement à une diminution
de 20% du temps médical. Pour la chirurgie, les conséquences
en sont d'autant plus perceptibles que l'on assiste à
l'émergence salutaire de la notion d'équipe opératoire.
Dans cette équipe, outre le ou les chirurgiens, interviennent
anesthésistes, infirmières IADE et infirmières
IBODE, notamment. La raréfaction du temps de travail
de ces professionnels survient alors que dans le même
temps ont lieu des transferts d'activité liés
aux restructurations du secteur privé et à la
planification du secteur public. Cela engendre des inadéquations
croissantes entre l'activité et les moyens disponibles.
3. L'ORGANISATION TERRITORIALE DE LA CHIRURGIE
a) Le secteur d'hospitalisation chirurgicale privé.
On sait que la France dispose d'un pourcentage de spécialistes
de 20% supérieur aux autres pays européens. L'autre
particularité est l'existence d'un secteur d'hospitalisation
privée qui est, par son importance et son rôle,
unique en Europe.
Le secteur privé se transforme, se restructure d'autant
plus fortement qu'interviennent des offreurs de soins qui rachètent,
regroupent et réorganisent les établissements
hospitaliers privés.
Dans le même temps, la planification des SROS cherche
à remodeler les structures hospitalières. La conséquence
de ces actions consiste en des transferts non maîtrisés
d'activité. En obstétrique, on assiste à
des transferts d'activité notamment à partir de
la fermeture de petites maternités privées. Ces
flux nouveaux qui se dirigent vers des maternités publiques
ont un impact indirect sur la chirurgie par l'investissement
nécessaire en temps d'anesthésie.
b) Chirurgie programmée, chirurgie d'urgence.
Dans le nouvel équilibre qui se crée, la tendance
est de voir se concentrer la chirurgie organisée, programmée,
dans les cliniques et la chirurgie d'urgence contraignante et
plus exigeante en moyens humains, dans les établissements
hospitaliers publics. Finalement, le développement très
important de l'hospitalisation de jour dans les cliniques privées
ne témoigne que du développement de l'activité
particulièrement programmée dans ce secteur. Cette
dualité entre la répartition de l'activité
programmée et celle de l'urgence pourrait finalement
être légitime si elle ne risquait pas d'induire
à court terme une perte de compétence et de qualité.
N'est-il pas naturel que le jeune chirurgien compétent
choisisse un exercice organisé dans un établissement
privé plutôt que devoir assumer les difficultés
et les contraintes de l'urgence ?
4. L'IMPACT DES NORMES : L'EXEMPLE DE L'ANESTHESIE
Parler de l'avenir de la chirurgie est évidemment indissociable
de l'évocation de celui de l'anesthésie. Depuis
plus de 10 ans, sous l'action de ses représentants scientifiques
et syndicaux, l'anesthésie a obtenu des normes réglementaires
sévères à visée sécuritaire.
Salle de réveil, consultation de pré anesthésie
ont été normalisées. On ne peut que se
féliciter de ces choix. Pour autant, comme tout appareil
normatif, le curseur doit être déplacé en
tenant compte d'exigences qui sont parfois contradictoires.
Parallèlement à cette évolution réglementaire,
l'organisation de l'anesthésie a évolué
vers un mode de plus en plus tayloriste. Sans remettre en cause
l'organisation pluridisciplinaire des blocs opératoires,
il est nécessaire de constater que le fonctionnement
actuel des activités de chirurgie hospitalière
est rendu plus difficile par certains choix d'organisations
catégorielles
5. LES PROPOSITIONS
a) Démographie des professionnels
Des mesures rapides doivent être prises concernant les
flux des professionnels intervenant dans l'équipe opératoire.
Il en est, bien sûr d'abord des chirurgiens. L'augmentation
du nombre des internes DES est une priorité. Au delà,
une réflexion sur les statuts juniors en chirurgie est
nécessaire. De la même façon, concernant
les flux d'IADE et d'IBODE, un renforcement du nombre d'entrées
dans les écoles est indispensable. Dans le même
temps, l'évolution de leurs rôles et de leurs responsabilités
doit être revue. L'allongement du temps de formation initiale
de ces infirmières spécialisées, leur rôle
croissant dans les blocs opératoires le justifie.
Ces actions sur les flux doivent être accompagnées
d'une action sur la répartition et la distribution des
spécialistes intervenant dans le champ de la chirurgie,
de l'anesthésie et de l'obstétrique. Les solutions
trouvées devront tenir compte du fait que les inégalités
intra régionales sont souvent beaucoup plus importantes
que les inégalités interrégionales. Des
mesures équitables de reprises d'ancienneté doivent
être proposées aux chirurgiens libéraux
souhaitant venir travailler à l'hôpital. Au-delà,
une prospective est nécessaire par territoire et spécialités
pour définir les flux compte tenu des missions de chaque
secteur.
b) Agir sur la motivation chirurgicale
Divers indicateurs, notamment s'agissant du choix des jeunes
en formation de
3ème cycle, témoignent d'une baisse de motivation
vers la discipline chirurgicale. Agir sur la motivation est
une urgence. A l'hôpital, elle ne peut se résumer
à une amélioration des conditions statutaires
et des conditions de rémunération. Même
si celles-ci sont légitimes, elles seraient sans effet
si ne sont pas développées des projets chirurgicaux
au sein d'équipes de taille suffisante et dans des territoires
redéfinis. La recherche clinique et la production de
savoir doivent être prioritaires. La recherche clinique,
organisée en réseaux intégrant CHU, CHG
et, pourquoi pas, établissements privés doit être
développée en s'appuyant notamment sur des assistants
en recherche clinique. La formation permanente, avec des ponts
CHU CHG) doit permettre la formation à l'innovation et
au projet technologique que nous avons évoqué.
Enfin, il faut rétablir les échanges intergénérationnels,
la place du compagnonnage indispensable à la formation
et à la promotion de la chirurgie.
Comme dans le reste de l'hôpital, la responsabilité
médicale, donc celle des chirurgiens doit être
redéfinie et restaurée.
c) Développer la compétence
Celle-ci est dépendante notamment de la formation initiale
et, on vient de le voir, de la formation continue. Mais la compétence
chirurgicale est, également, indissociable de la masse
critique de l'activité réalisée. Cette
exigence de masse critique concerne le chirurgien tout autant
que l'ensemble de l'équipe
C'est dire l'importance de l'évaluation des pratiques
professionnelles. A ce titre, nous ne pouvons que souscrire
aux propositions du rapport Nicolle sur la chirurgie présenté
il y a un an.
d) Redessiner l'organisation de la chirurgie et des territoires
C'est au niveau de bassins de population et en rassemblant
des équipes de taille suffisante que de projets chirurgicaux
peuvent être élaborés. Un new deal devra
être trouvé entre les conditions de l'exercice
programmé et la prise en charge des missions de service
public liées à l'urgence. Faute de résoudre
les problèmes posés par cette répartition,
on assisterait à une chirurgie à 2 vitesses et
à 2 compétences. L'organisation chirurgicale devra
définir de nouvelles règles au sein de ces territoires.
On ne peut pas concevoir une organisation graduée laissant,
par exemple, à des chirurgiens " moyens " la
responsabilité d'activités chirurgicales "
moyennes " dans des sites de proximité et concentrer
les compétences et les technologies dans des lieux de
référence. C'est au sein d'équipes communes,
en partageant les missions chirurgicales, celles de recherche
clinique, de formation... que peuvent être recherchés
des compromis à la nécessaire concentration des
moyens techniques et humains avec les impératifs de l'aménagement
du territoire. Pour y parvenir, le partage d'informations concernant
l'activité des différents secteurs opératoires
est indispensable. Il pourrait se faire, au mieux, sur la base
d'actes traceurs issus du PMSI telles que certaines régions
l'ont déjà initié. Cette évaluation
des activités est indispensable pour bâtir de nouvelles
organisations. Mais cette mesure ne doit pas être utilisée
comme un indicateur thermomètre servant à des
comparaisons technocratiques et à des choix manichéens.
La mesure de l'activité doit plutôt servir de thermostat
à une véritable gestion par activité.
L'organisation par territoire pourrait par exemple associer
un site référent lieu de partage de plateau technique
sophistiqué et innovant, lieu de prise en charge des
urgences nocturnes, lieu disposant de structures de réanimation.
Des sites rapprochés de la population pourraient permettre
une prise en charge des hospitalisations de seconde intention,
des consultations avancées et une activité ambulatoire.
L'organisation de la prise en charge chirurgicale par une équipe
commune exige la mise à disposition d'un système
d'information numérique et le développement de
la télémédecine.
e) Statuts, activités, contrats
Le statut unique de praticien hospitalier constitue le socle
statutaire commun. Il a pour légitimité d'assurer
la cohérence statutaire entre les praticiens qui participent
à la bonne marche de l'hôpital public. Sa pérennisation
est nécessaire. Son champ pourrait correspondre au travail
" de base " du PH. Au-delà, nous souhaitons
que sous une forme par exemple contractuelle un intéressement
soit reconnu. Ce contrat, en référence à
des indicateurs de qualité et d'activité devrait
concerner l'ensemble de l'équipe médicale et soignante.
F AUBART Président de la Coordination Médicale
Hospitalière (CMH)
T DUFOUR Président du Syndicat des Chirurgiens Hospitaliers
(SCH)