DOCTEUR, PRENDS GARDE A TOI !

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Depuis de longs mois maintenant se poursuit une grève des gardes des médecins généralistes. Leur revendication affichée est celle d'une consultation à 20 euros. Bien sûr, celle-ci est légitime. Le vrai danger ne réside pas dans cette exigence de reconnaissance financière. Le vrai danger c'est celui d'une médecine de supermarché et d'abattage d'actes médicaux bradés. Mais, cette revendication n'est que la partie visible de l'iceberg. Le mode d'action choisi est considérable. Il s'agit de la grève des gardes et cela n'est pas un hasard. La grève est déclenchée pendant des périodes cibles. Elle s'exerce pendant le pont de Noël, pendant les week-ends ou lors d'actions ponctuelles. On ne peut éluder son impact symbolique et son impact sur le système de santé. Une des questions essentielles est de savoir si les médecins doivent, d'une façon générale et déontologique, participer au système de garde. La réponse est brouillée par l'utilisation syndicale de ce mot d'ordre. En choisissant une telle action les médecins font état de leurs exigences mais aussi banalisent leurs responsabilités et leur mouvement. Qu'est ce qui distingue alors le douanier, le chauffeur poids lourd du toubib ? Le choc est considérable. Que penser d'une situation où un président du Conseil National de l'Ordre des Médecins appuyé sur le code de déontologie pour rappeler les droits mais aussi les devoirs des médecins se fait mettre en minorité ? Que penser lorsque ce même président, sous le choc, en vient à proposer comme issue une modification du code de déontologie et donc de la loi?

A l'heure où les sondages fondent la pensée unique, il est difficile de connaître la véritable proportion de médecins souhaitant s'épargner les contraintes de l'urgence de nuit et de week-end. Mais quel que soit le nombre, quels que soient les bataillons, cela nous concerne tous. D'ailleurs, un symptôme voisin s'est fait jour au niveau de l'hôpital. Lors des discussions sur la réduction du temps de travail, un certain nombre de praticiens hospitaliers voire d'organisations, ont prôné un comptage horaire de leur temps de travail. En clair, cela signifie que le médecin accepte alors, en échange des limites et des avantages supposés du comptage horaire, de devenir au pire un fonctionnaire assujetti, au mieux à un cadre anonyme pointé. Ce sont souvent les plus jeunes qui s'inscrivent dans cette approche qu'a fermement refusé B Kouchner. Mais leur attitude n'est que la conséquences d'une expérience acquise récemment pendant les études médicales. Charges de travail excessive, éthique contestée, organisations défaillantes conduisent le jeune médecin aux fausses bonnes solutions.

Le mouvement des généralistes qui utilise les gardes comme bras de levier et qui, au fond, n'en accepte pas les contraintes, la demande des zélateurs du comptage horaire du travail ne doivent pas être analysés de façon manichéenne. La communauté médicale a été et est soumis à des charges de travail inacceptables et souvent dangereuses pour les patients. Avec des moyennes hebdomadaires de travail d'une cinquantaine d'heures à l'hôpital et de 52 heures en ville, on se doit de refuser le risque induit pour le patient. Avec le vieillissement de la population médicale et de la population générale, les contraintes liées à la continuité des soins deviennent de plus en plus insupportables. Dans les hôpitaux des transferts d'activité non maîtrisés créent surcharge, inadéquation et donc remise en cause de la qualité des soins. Les thèmes de la continuité des soins, de la prise en charge des urgences, de la responsabilité déontologique font l'objet de missions de rapports de conférences. Et après ! Peu de chose et la porte est ouverte aux égoïsmes prioritaires aux utilisations de circonstances. Si on laisse les choses en l'état on aboutit à un hôpital sentinelle ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour répondre aux impératifs de la prise en charge en urgence et à la continuité des soins. De l'autre côté de la rue des établissements privés fonctionnent de façon programmée en ayant sélectionné des activités techniques ou chirurgicales. Entre les deux, les praticiens libéraux effectueraient leur métier en se désinvestissant progressivement de la contrainte de la continuité des soins. Dans ce scénario catastrophe, on aboutirait rapidement à la défaite médicale pour les patients, pour les malades. En effet, le risque est considérable de voir les compétences médicales refluer hors l'hôpital et hors les contraintes. Le risque est considérable de voir des pratiques inégalitaires se généraliser. Le risque est grand de voir le médecin ramené à un prestataire de service. Docteur, prends garde à toi. Car derrière certains ont des objectifs précis. L'enjeu est l'arrivée des assureurs et des mutuelles comme financeurs au premier franc des dépenses de santé. La conséquence immédiate serait comme aux Etats Unis dans les HMO, une sélection des risques, des médecins, des hôpitaux et des malades.

On le voit, la crise actuelle de la médecine et du système de santé français touche aux valeurs essentielles déontologiques, éthiques et organisationnelles. Dans le même temps, se déroule une campagne présidentielle communicante. Petites phrases, âge du capitaine, menteries fleurissent au rythme du jeu de l'oie des candidats. Mais aucune des cases du jeu n'évoque les problèmes de la santé, de la maladie, de l'hôpital, bref les problèmes des gens et des malades. Mais, on le sait des faits sont têtus. Quel que soit le vainqueur, quel que soit le premier sur la dernière case, il faudra bien redonner un sens à la politique de santé. Si le terme d'insécurité fait, à juste titre, florès l'insécurité créée par les dérapages de notre système de santé sont quelque part indissociables du dossier de l'insécurité sociale. Nous l'avons dit à plusieurs reprises, l'hôpital participe à la cohésion sociale. Par sa capacité à offrir des soins de qualité à tous, par sa capacité à développer la connaissance médicale, par sa place de lien dans notre société, l'hôpital public est irremplaçable. Il est secoué par l'incapacité de nos politiques à se pencher sur ses dysfonctionnements et plus généralement sur ceux du système de santé. Au mois de Mai 2002, le président élu, il faudra donc attendre que les législatives fassent le tri des nominés et des élus et que nos Césars composent un nouveau gouvernement. Pendant ce temps, faute d'objectifs partagés, faute de repères et de valeurs affirmées, les difficultés et les inégalités s'accroissent pour les malades, les valeurs qui font que la France dispose du meilleur système de santé s'estompent. Il s'agit aussi d'une forme de violence

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