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Questions aux candidats à
la présidentielle
1/ A propos de l'avenir de l'hôpital public: quelles priorités?
quelles missions? quels moyens? quels changements souhaitables?
L'hôpital public est au coeur de notre système de soins
: il en concentre les qualités et les défauts. Ses qualités,
j'en ai bénéficié au plus près lors de
l'accident d'anesthésie qui a failli me coûter la vie
en 1998 et ce sont d'abord les qualités des femmes et des hommes
qui y travaillent. La compétence, l'abnégation, le don
de soi, une chaleur humaine qu'ils m'ont communiquée et qui
m' a puissamment aidé à me remettre, en parallèle
avec les soins techniques proprement dits.
L'hôpital public, c'est l'emblème du service public qu'on
dit "à la française" mais qui pour moi a une
vocation universelle : chaque citoyenne et citoyen y trouvera le meilleur
des soins quelque soient ses revenus. C'est aussi le lieu de la haute
technicité, de la formation de haut niveau.
Mais l'hôpital public connaît aujourd'hui des difficultés
qui reflètent celles de l'ensemble de notre système
de santé. Sa gestion est trop lourde, trop lente. Il est difficile
pour le maire et le parlementaire que je suis de bien appréhender
le rapport entre les crédits qui sont alloués et la
qualité des soins qui en résulte. A qualité égale,
peut-on faire des économies où en tout cas allouer les
crédits de façon plus flexible pour faire face aux besoins
des secteurs dont les charges de travail sont les plus lourdes ? Une
meilleure organisation des soins ne permettrait-elle pas de mieux
rémunérer les personnels qui sont la base de tout ?
Si des augmentations de crédits sont nécessaires, se
donne t-on les moyens de s'assurer que la qualité des soins
en sera améliorée ? Les crédits affectés
sont-ils proportionnels à la qualité et à la
quantité de travail fournis ? Voilà des questions essentielles
dès lors que nous ne sommes pas dans un système marchand,
mais dans un système de solidarité collective. Je ne
suis pas sûr que nous ayons les réponses à ces
questions décisives pour l'avenir.
Je vois par conséquent des axes de changement nécessaires.
D'une manière générale, il faut que les efforts
de productivité et de qualité soient récompensés
de façon la plus immédiate et la plus visible possible.
Cela implique à mon avis la remise en cause partielle du financement
au "budget global" qui a eu le mérite de mettre en
fin à une inflation de dépenses sans justification,
mais qui a aujourd'hui des effets paralysants. Le financement d'un
établissement doit comporter une part forfaitaire pour les
grandes missions mal codifiantes en actes précis :prévention,
dépistage, recherche, soins complexes, et une part indexée
sur l'activité réelle, c'est à dire par exemple
en nombre de patients traités. Le système que vous avez,
dit du "PMSI" s'approche un peu de cette démarche,
mais j'ai cru comprendre que beaucoup de professionnels le trouvait
trop éloigné de leur pratique quotidienne.
Il faut ensuite assouplir très fortement les procédures
d'investissement et d'acquisition d'équipements lourds. Chaque
établissement doit avoir dans ce domaine une plus grande liberté,
charge à lui aussi de s'organiser pour que l'acquisition de
ses équipements soit financée, au moins en partie, par
des efforts de productivité et de meilleure organisation.
Il faut enfin une déconcentration de la gestion budgétaire
interne aux établissements à l'échelle des services,
des départements, où des filières de soins. Cela
permettrait de rapprocher les soignants et les gestionnaires dans
une coopération au plus près du terrain. En cas d'excédent
de gestion, chaque filière ou service en garderait automatiquement
la plus grande part pour acquérir des moyens nouveaux en personnel
ou en matériel.
Je pense donc que le fonctionnement de l'hôpital public doit
se moderniser pour rester le pivot de notre système de santé.
Cette modernisation est indispensable pour éviter toutes les
tentations et les pressions qui se manifestent pour une privatisation
généralisée des soins et de l'Assurance-Maladie.
2/ A propos de la cohabitation entre médecine libérale
en cliniques privés et service public hospitalier: quel équilibre
et quels ajustements?
Les cliniques privées jouent dans notre système de
soins un rôle important. Ce sont des structures dont le noyau
repose encore dans la grande majorité sur des associations
de médecins qui ont mis en commun leur patrimoine pour bâtir
un outil fonctionnel, leur garantissant l'indépendance professionnelle
à laquelle ils sont à juste titre fortement attachés.
Ces établissements savent souvent faire la démonstration
qu'il n' y a pas d'opposition à priori entre une bonne économie
de santé et une bonne qualité des soins. Enfin, ils
participent efficacement à un maillage sanitaire de proximité
du territoire.
On voit bien aujourd'hui la source de leurs difficultés : ces
structures souvent de petite taille ont du mal à faire face
au volume considérable d'investissement rendu nécessaire
par les progrès technologiques et par les contraintes de la
sécurité sanitaire.
Pour y faire face, certaines d'entre elles se sont récemment
tournées vers la finance mondialisée et sont entrées
en Bourse. Si ce mouvement, encore minoritaire se généralisait,
cela risquerait de remettre en cause l'égalité des citoyens
devant l'accès aux soins, favoriser la rentabilité à
court terme au détriment de la qualité des soins, et
mettre fin à l'indépendance professionnelle des médecins
qui deviendraient des salariés des groupes financiers.
Il ne s'agit donc pas de faire seulement "cohabiter" secteur
public et secteur privé : il faut instaurer une véritable
synergie qui dynamise l'hôpital public et permette aux établissements
privés de s'adosser à la puissance financière
du public sans perdre leur indépendance. Plusieurs formules
sont possibles : l'association des établissements privés
entre eux, un partenariat avec le public qui peut prendre différentes
formes : acquisitions communes de matériels, organisation de
réseaux de soins, exercice combiné des praticiens J'ajoute
qu'il me semble que c'est tout simplement aussi l'intérêt
des patients !
Ces modalités doivent être négociées au
plus près du terrain et des réalités locales.
C'est l'un des enjeux majeurs d'une déconcentration régionale
de notre système de soins, dans laquelle cependant l'Etat resterait
l'arbitre et le garant de l'égalité des citoyens au
niveau national.
3/ A propos de la démographie médicale et de la crise
de recrutement des professionnels médicaux à l'hôpital
public; quel niveau de numerus -clausus et quel statut pour les médecins
hospitaliers?
D'une manière générale, nous avions sans doute
une démographie médicale excessive à l'entrée
des années soixante-dix. Mais sa limitation ne s'est accompagnée
d'aucune réflexion stratégique sur les besoins sanitaires,
sur la répartition entre généralistes et spécialistes,
sur l'avenir de certaines spécialités aux charges lourdes
et spontanément moins attractives et qui n'ont pas bénéficié
des fortes incitation - en particulier financières - qui auraient
été nécessaires. La logique malthusienne qui
domine aujourd'hui l'Union Européenne, la démission
de l'Etat devant ses missions ont fait le reste et nous nous retrouvons
dans des situations absolument insensées de pénurie
régionale ou de certaines spécialités médicales.
Le numerus-clausus doit donc être desserré, mais surtout,
des fortes mesures incitatives doivent être prises en faveur
de certaines régions et de certaines disciplines. A l'hôpital
public, je pense que l'écart de rémunération
avec les praticiens du privé est encore trop grand, trop démotivant,
et source de vacances de postes . Des hausses de revenus doivent donc
être planifiées pour l'avenir, en particulier pour les
spécialités aux responsabilités et aux charges
de travail le plus lourdes. Tout cela passe par un ajustement du statut
national des praticiens hospitaliers et un effort financier considérable.
Cela ne sera possible que par un effort en retour des médecins
hospitaliers eux-mêmes vers une meilleure organisation, des
efforts de productivité et de mobilité. J'en appelle
à une mobilisation générale.
4/ A propos du financement et de la gestion du système de
santé: quelle évolution budgétaire? quelle évolution
du paritarisme dans les organismes de gestion? quelle répartition
des pouvoirs dans l'administration des établissements de soins?
Il est clair pour moi que l'évolution des dernières
décennies qui a vu les cotisations passer des seuls revenus
du travail à l'ensemble des revenus doit être menée
à son terme. L'ensemble des revenus du capital et du travail
doivent contribuer à notre système de santé et
de protection sociale. Cela implique une redéfinition du "paritarisme"
qui ne peut plus se limiter aux seuls syndicats de salariés,
et d'autant plus si le MEDEF confirme son retrait, ce que je ne souhaite
pas. Il faut donc élargir davantage la gestion de l'Assurance-Maladie
aux professionnels, aux associations de patients, aux élus.
Pour les établissements de soins, la guerre larvée entre
soignants et gestionnaires doit cesser. Tous doivent coopérer
avec leurs compétences pour redynamiser l'Hôpital. Les
gestionnaires doivent être au plus près des réalités
des soins, et les professionnels doivent s'impliquer davantage dans
une gestion qu'ils sont les seuls à pouvoir irriguer de leur
connaissance intime des besoins des patients, de l'état de
la science, de leur savoir-faire. C'est l'un des enjeux de la déconcentration
budgétaire interne aux établissements qui me semble
nécessaire.
5/ A propos des nouvelles représentations et exigences sociales
sur la santé : quelle intervention de la justice et quelle relation
médecins -patients? quelle gestion et acceptation du risque?
quelles règles éthiques face aux progrès scientifiques,
et à la liberté individuelle?
La revendication de la part des citoyennes et des citoyens d'une
meilleure information, d'une meilleure implication et d'une meilleure
co-décision dans les traitements qu'on leur proposent me paraît
un enrichissement de la relation entre les médecins et les
patients dont le niveau de culture et de connaissance a fortement
progressé dans les dernières décennies. En revanche,
le recours à la justice comme voie ordinaire de résolution
des conflits me paraît conduire à un appauvrissement.
Il y à là la traduction dans le domaine de la médecine
de la "judiciarisation" de la vie sociale qui valorise un
individualisme méthodologique débouchant sur une régression
de tout lien social collectif.
Cela signifie que les indemnisations des aléas thérapeutiques
doivent être prévues en amont et ne pas déboucher
sur des sanctions des soignants si il n' y a pas eu de faute ou négligence.
Le devoir systématique d'information préalable sur les
effets secondaires, même les plus rares est peut-être
nécessaire, quoique je doute de son efficacité pour
les patients les plus gravement atteints qui ne sont pas en état
physique ou psychologique de recevoir sereinement cette information.
Elle ne peut pas devenir un pivot juridique qui régirait les
relations médecins-malades, qui doivent rester basées
sur la confiance. Faute de quoi on aboutira au refus de la prise de
tout risque par les médecins : or il y a risque dès
lors qu'on entreprend un traitement, qu'on pratique un examen, qu'on
émet un diagnostic. L'autre alternative sera l'augmentation
massive des honoraires médicaux pour faire face aux primes
des polices d' assurance et on réintroduira par la fenêtre
une médecine à plusieurs vitesses.
La médecine va sans doute connaître des développements
considérables issus des avancées de la biologie moléculaire.
Je veux d'abord y voir la promesse de formidables progrès,
comme par exemple avec les cellules souches et je me méfie
d'un discours obscurantiste. Ce qui me paraît en revanche hypothéquer
gravement l'avenir, c'est l'abandon du rôle majeur que doit
jouer dans ces domaines la puissance publique, expression de la volonté
générale de la démocratie. C'est la privatisation
croissante des découvertes scientifiques, le brevetage du vivant,
la recherche à tout prix du profit immédiat qui peuvent
venir menacer la sécurité sanitaire et la liberté
individuelle.
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