... nous allons accélérer, médicaliser
et valoriser les procédures d'accréditation...
ENTRETIEN AVEC ALAIN COULOMB, DIRECTEUR DE L'ANAES
Officiel Santé
- Quel a été votre parcours professionnel ? Nous vous posons cette
question car il peut paraître quelque peu paradoxal qu'un homme comme
vous qui a été un « baron » de l'hospitalisation privée
se retrouve dans la peau d'un grand commis de l'état à la tête
d'une agence publique de la santé.
Alain Coulomb - J'ai débuté ma carrière
comme directeur d'une caisse d'allocations familiales, puis j'ai été
nommé directeur de la CPAM du Val d'Oise. Ensuite, depuis le début
des années 90, j'ai en effet été le délégué
général de l' U H P et de l a FHP (Fédération Hospitalière
Privée).
Je peux vous dire que, quelque soit le poste ou la fonction, j'ai toujours été
animé par une démarche au service de l'intérêt général,
qui ne se confond pas avec une vision organique du service public. Par ailleurs,
peut-être parce que j'ai été le plus jeune directeur de
France, j'éprouve vite l'ennui de la gestion routinière; j'ai
le goût de la construction (pendant mes vacances, je construis des murets...)
et du travail bien fait. La tâche à accomplir à l'Agence
me convient donc parfaitement...
OS - Votre
nomination n'a-telle pas de connotation politique?
A. C. - Au sens strict, oui, puisque c'est le ministre qui m'a nommé. Cependant, les statuts de l'ANAES ont cette originalité unique que le Conseil d'administration donne son avis sur la nomination du directeur, un conseil d'administration où l'État a d'ailleurs organisé sa propre influence minoritaire, puisque ses représentants et ceux de l'Assurance maladie ne représentent qu'un tiers des membres. Il se trouve que le Conseil a émis à l'unanimité un avis favorable à ma nomination, et c'est pour moi un motif de satisfaction et de fierté, au moins momentané...
OS - Quel
est l'état des lieux, l'Agence est-elle selon vous en état de
marche?
A. C. - Je sais que c'est la règle de rendre hommage
à son prédécesseur (Yves Matillon, nldr) mais je ne veux
pas me priver de le faire puisque je le pense. Depuis 1998, l'Agence a contribué
à ce qu'émerge une culture de la qualité, à travers
des concepts et des méthodes qui se sont concrétisés dans
la fabrication d'un référentiel et d'une procédure d'accréditation
menée à bien dans 600 établissements.
Aujourd'hui, je dirais que l'ANAES est victime de son succès. L'exigence
sociale de qualité dans la santé, en particulier celle des usagers,
est de plus en plus en forte, et cette pression a été en partie
générée par l'action de l'agence elle-même. Il nous
faut donc changer de vitesse pour répondre à cette exigence.
OS - Une
vitesse supérieure, cela signifie quoi quantitativement ?
A. C. - Ces quatre dernières années, 600 établissements ont été visités; nous en ferons autant dans la seule année 2003. En effet, exactement 653 établissements se sont portés volontaires pour la procédure d'accréditation cette année; je souhaite répondre positivement à toutes ces demandes, tout en respectant le principe du volontariat.
OS - Préparez-vous
aussi un changement qualitatif dans la procédure d'accréditation?
Jusqu'à présent la démarche était avant tout pédagogique,
souhaitez-vous la rendre plus opérationnelle (c'est à dire avec
des conséquences sur le financement, la planification, etc..) ?
A. C. - Nous préparons une version 2 de l'accréditation
qui sera mise en oeuvre en priorité dans les établissements qui
se sont déjà soumis à la première procédure
et qui doivent donc continuer dans cette démarche qualité. Je
citerais cinq mots clefs pour expliciter cette nouvelle version :
- Simplification de la procédure
- Médicalisation du référentiel, ce point
répondant à une demande souvent formulée des professionnels
- Industrialisation de la procédure, pour faire face
à l'accroissement quantitatif des établissements qui y seront
soumis chaque année
- Meilleure lisibilité des rapports, ce qui implique
de réfléchir au scoring, et aussi de plus impliquer et responsabiliser
les experts-visiteurs qui ont à charge la rédaction de ces rapports
- Valorisation des résultats de la procédure
; il me paraît en effet inimaginable qu'un système puisse se pérenniser
sur la seule vertu, ce qui est le cas aujourd'hui de l'accréditation
qui ne « rapporte » rien aux établissements qui s'y soumettent.
C'est pourquoi nous allons proposer aux ARH de se livrer à une discrimination
positive sur une fraction, même minime, de l'allocation des ressources
en fonction des résultats de l'accréditation.
OS - Cette version 2 de l'accréditation signifie-t-elle un passage de l'évaluation « transversale » par établissement vers une approche par secteur, service ou pôle de santé?
A. C. - Nous devons en effet être plus pertinent pour permettre aux ARH de se livrer à cette discrimination positive. Cela dit, des indicateurs peuvent-ils être identiques à tous les établissements ? La réponse est non, bien sûr, puisque par exemple le taux d'infections nosocomiales n'a pas le même sens dans un service de soins aigus que dans un service de psychiatrie. Je l'ai dit, il faut médicaliser les référentiels, mettre au point des indicateurs à la fois spécialisés et spécifiques, avec des différenciations selon les établissements et les services. Là dessus, nous suivons plusieurs pistes...
OS - Le
but est-il que les établissements puissent se comparer à eux-mêmes
d'une année sur l'autre?
A. C. -Oui, mais aussi qu'ils puissent se comparer à d'autres semblables...
OS- Pour
l'instant, l'impact de l'accréditation est très faible sur le
grand public; envisagezvous donc d'adopter une forme de communication plus agressive
et plus directe pour frapper l'opinion?
A. C. - L'agence n'est pas en concurrence avec le trio bien
connu de journalistes qui réalisent depuis plusieurs années, sous
des formes et dans des publications différentes, un « classement
de hôpitaux ». J'estime que cette équipe a progressé
dans ses méthodes et a fait progresser l'information du public, et j'ajouterais
surtout l'égalité devant l'information. Il s'agit donc d'un travail
légitime, mais ce n'est pas notre mission que de produire ce type d'informations
; donc nous ne le ferons pas, même si, comme je l'ai dit, nous nous attacherons
à rendre les rapports plus « lisibles ».
OS - L'agence
produit un nombre important de recommandations et de synthèses scientifiques,
mais cette production est-elle bien conçue et calibrée pour être
vraiment utilisée par les professionnels? Quid, d'autre part, des travaux
toujours délicats sur l'évaluation des pratiques professionnelles...
A. C. - Il peut paraître en effet paradoxal que la production
de l'agence soit plus connue à l'hôpital public que chez les professionnels
libéraux. En fait, qu'est-ce qu'on nous demande? Un compromis entre une
production scientifique et un document à caractère purement opérationnel.
Je lisais récemment que les Suédois ont mis sept ans pour sortir
une recommandation ; c'est évidemment un délai trop long à
tous points de vue, et y compris de celui de la pertinence scientifique !
J'estime que nous devons accroître notre production, mais surtout diversifier
nos méthodes pour rendre nos résultats plus réactifs, voir
pro-actifs. Cela signifie aussi articuler nos travaux avec le système
d'allocation des ressources, via la formation professionnelle. Ainsi, les libéraux
qui s'impliquent dans l'EPP (évaluation des pratiques professionnelles)
mériteraient d'être encouragés.
Aujourd'hui, nous fournissions des recommandations et synthèses aux institutions
et aux professionnels qui nous le demandent. Il nous faut trouver un équilibre
entre les demandeurs, mais nous avons décidé de privilégier
les sociétés savantes dont les demandes seront prises en compte
majoritairement. Reste qu'il nous faut mettre au point une grille de sélection
des demandes, pour écarter celles mal formulées ou mal justifiées
qui ne peuvent aboutir qu'à des réponses frustrantes. Comment
articuler le savoirfaire de l'agence avec les professionnels en demande? Sur
ce terrain nous avons deux axes de travail, le premier avec les URM L avec qui
il est entendu que nous continuerons le travail engagé, le deuxième
avec les
société savantes vers qui nous nous sommes ouverts et comptons
amplifier ce mouvement.
J'admets bien volontiers que l'Agence n'est pas l'unique "Temple du savoir
" qui possèderait seul " les tables de la loi ". En définitive,
il s'agit de trouver un équilibre entre le respect de nos méthodes,
la recherche d'un résultat opérationnel et la confiance des professionnels.
OS- Pour
finir et en un mot, quel est le message qui vous tient à coeur et que
vous voulez faire passer à la communauté médicale?
A. C. - Je voudrais les convaincre de l'enjeu important que
constitue l'indépendance de l'ANAES, son caractère opérationnel
et la participation des professionnels à sa démarche. L'alternative,
c'est le « harcèlement textuel » dont personne ne peut souhaiter
qu'il s'aggrave.
Aujourd'hui, j'ai le sentiment que les professionnels sont en crise et doutent
de tout, y compris de l'ANAES. Certes la confiance ne se décrète
pas, mais l'agence a déjà prouvé sa volonté d'ouverture.
Alors, j'ai envie de dire aux professionnels: « faisons nous confiance
mutuellement ».
Propos recueillis par FA. et LdV.