LA PHARMACIE HOSPITALIERE
Vue par la Cour des comptes
Par Jean-Fran�ois Latour, pharmacien hospitalier,pr�sident du CNHIM (Centre National Hospitalier d'Information sur le Médicament)
Sur le modèle de la Clinical. Pharmacy nord-américaine des années
60-70, 1a Pharmacie hospitalière française a développé
un système de prise en charge thérapeutique assez différent
de celui qui existait dans la pratique traditionnelle de l'officine de ville,
reposant sur la «générisation des médicaments»
(puisqu'il n'existait pas de génériques), la substitution thérapeutique
(puisque l'unité de lieu prescripteur-dispensateur et le comité
des médicaments favorisaient ces pratiques) et la rationalisation de
l'information sur le médicament (d'autant plus nécessaire que
l'industrie pharmaceutique est omniprésente au sein des établissements
de santé).
Cette démarche répondait aux constats de l'époque.
Vingt ans plus tard, on peut constater le chemin parcouru et le différentiel
qui s'est installé avec la pratique officinale, notamment dans l'utilisation
des génériques car, contrairement aux affirmations de la Cour
des Comptes (CC, rapport de septembre 2002), environ les trois quarts en
volume des doses actuellement administrées à l'hôpital
sont génériquées
Quant à la nécessité de disposer d'une information éthique, elle reste une nécessité pour deux nouvelles raisons :
1. la rapidité de mise en exploitation des nouveaux médicaments innovants, comme la brièveté de leur caractère innovant (une cinquantaine de produits représentant 65-70 % des coûts),
2. la stratégie d'information des firmes qui promotionnent leurs produits innovants sur des indications voisines de celles autorisées par l'AMM. C'est au regard de cette situation qu'il convient d'évaluer l'analyse, les critiques et recommandations formulées par la CC sur le médicament hospitalier qui, de fait, constitue une singularité au regard de la prescription en soins de ville.
Relevons tout d'abord ce qui nous apparaît comme des inexactitudes :
1. L'affirmation d'absence de maîtrise de la consommation
n'est pas fondée, pour au moins deux raisons : la première est
la non distinction entre la dispensation aux patients ambulatoires et la consommation
intra-hospitalière qui peut représenter dans certains établissements
(CHU, CH ou CRLCC) autant, voire plus, que la consommation interne ; la seconde
est l'absence de comparaisons sur des « paniers » comparables aux
périodes d'observation retenues Il serait en effet facile de démontrer
une chute vertigineuse des prix d'achat sur de nombreux médicaments au
cours de la période d'observation considérée.
2. Même si le système des Autorisations Temporaires d'Utilisation (ATU) a pu faire l'objet de certaines dérives industrielles connues de tous et le fait d'un nombre très limité de laboratoires pharmaceutiques, il est nécessaire de mettre en balance le bénéfice thérapeutique considérable qu'a apporté cette procédure pour les patients français, qui ne sont plus otages de la durée de négociations entre les laboratoires et les organismes de protections sociales ou sanitaires. N'aurait-il pas été juste de mettre en exergue le rôle de protection sanitaire et de service public joué par l'hôpital, à cette occasion ? D'autant que grâce au CN H IM et à Thériaque, la communauté pharmaceutique hospitalière peut assurer en primeur une information éthique sur ce type de produits, grâce à sa réactivité.
3. Les développements sur les modalités d'achat des médicaments à l'hôpital ne reposent sur aucune analyse d'ensemble toutes les études professionnelles conduites à ce jour démontrent le très faible écart de prix d'achat ou de coût d'acquisition au regard du type de procédures ou d'organisation retenues En revanche, les seules véritables économies constatées sont dégagées par la contractualisation prescripteurdispensateur sur les indications et protocoles, c'est à dire par la démarche de pharmacie clinique, où là encore le rôle de l'information éthique et exhaustive sur les médicaments est central dans le dialogue entre médecins et pharmaciens hospitaliers.
4. L'innovation est, sans aucun doute, un concept marketing « flou » qui peut être le support de nombreuses dérives. Néanmoins, on ne peut nier qu'en moins d'une dizaine d'années le paysage thérapeutique s'est bouleversé. Si hier, on priorisait les interactions médicamenteuses dans le domaine de l'information, aujourd'hui c'est la rigueur avec laquelle on retient les indications de prescription sur la base de l'AMM, mais aussi des études sur les protocoles publiés. Là encore, seule une information fiable et exhaustive diffusée rapidement permet de contrebalancer l'information scientifique à visée publicitaire.
5. La dispensation hospitalière aux patients de ville (retrocession) n'est que le corollaire de l'innovation thérapeutique et il est contestable de la mettre en cause pour les motifs avancés par la CC. C'est parce que la Pharmacie hospitalière a su être à l'écoute de patients non désireux de s'adresser à une prestation de ville, qu'une pression s'est exercée pour le développement d'une prestation hospitalière, notamment de la part des prescripteurs hospitaliers ou des associations de malades. Il faut avoir vécu l'expérience d'une unité de dispensation hospitalière pour comprendre le contenu de la relation humaine, pratique et scientifique qui s'instaure entre le patient et le pharmacien hospitalier, à cette occasion: cela constitue peut-être aujourd'hui l'un des réseaux informels le plus efficace entre la ville et l'hôpital en terme d'éducation sanitaire et de diffusion de la sécurité sanitaire. La dispensation hospitalière aux patients de ville est une nécessité de santé publiqu e: c'est la sommation d'une information thérapeutique, d'une dispensation de produits et l'asairance d'un suivi. Ble doit être laissée au libre choix des patients si l'on souhaite développer leur sens de la responsabilité vis à vis de la mise en ceuvre de leurs thérapeutiques.
Quelques pistes à explorer :
1. Les ATU de cohorte pourraient faire l'objet d'un régime spécifique de prix, sur la base du prix de comparaison des prix des produits vis à vis desquels ils ont été testés, jusqu'à ce que l'AMM soit obtenue: cela aurait au moins l'avantage de conduire le laboratoire fabricant à ne pas freiner la procédure de mise sur le marché.
2. Les « observatoires régionaux » nous semblent une idée intéressante mais lourde à mettre en ceuvre tant qu'un système dédié d'information sur le médicament hospitalier n'aura pas été mis en place: il s'agit là de la première des priorités, sachant que l'information scientifique éthique pourra alors se greffer, sans aucun problème, sur ce système d'information. A ce jour, on a plus privilégié les réseaux informatiques à vocation financière et budgétaire, par essence étrangers à un objectif permettant d'asairer une traçabilité effective du circuit du médicament, de la prescription à l'administration.
3. Nous ne pouvons qu'appeler de nos voeux une meilleure coordination des organismes chargés de la mise sur le marché et de son suivi. Que ce soit au sein d'une « super-commission de transparence » ou dans le cadre plus modeste d'un organisme référentiel au sein duquel le CNHIM et sa base de données THERIAQUE seraient partenaires (avec les fédérations hospitalières et/ou les organismes de protection sociale, et/ou l'AFSSAPSet/ou la DHOSet/ou la DGSet/ou les associations de malades, etc...) la maîtrise médicalisée du marché du médicament passe par l'existence d'une base de données largement accessibles et aux motivations parfaitement transparentes. Est-il vraiment réaliste de continuer à demander aux équipes hospitalières de réévaluer ou de contre-évaluer des médicaments qui ont déjà subi le filtre de plusieurs années d'évaluation par des spécialistes de l'évaluation? Nous pensons que l'effort doit porter en priorité sur une plus large diffusion de l'information validée.
C'est à notre sens le grand enjeu de la décennie. Sinon, soit l'explosion des dépenses conduira à revenir à un système administré dont les dernières décennies ont démontré les insuffisances et l'incapacité à apporter des solutions durables, soit on évoluera vers un système de prise en charge à deux vitesses pour toutes les pathologies qui bénéficieraient de progrès thérapeutiques majeurs