Hôpital 2007
La chirurgie est en crise...
...le plus important est de rétablir la confiance !
Extraits du rapport du Pr Jacques Domergue
Revaloriser la chirurgie
Le plus urgent est de rétablir la confiance. Des signes forts en faveur
de la profession sont attendus. Ils doivent avoir pour objectif de redonner
confiance aux professionnels et de renforcer leur motivation. Ces signes ne
sont pas les mêmes dans le secteur privé et public.
1. Dans le secteur Privé
a) Ils disent depuis trop longtemps que la NGAP n’est plus adaptée
La révision de la nomenclature qui paraît aujourd’hui achevée
a trop longtemps laissé les chirurgiens dans une situation très
ancienne de non revalorisation de la profession. L’espace de liberté
tarifaire demandé par les syndicats doit concerner non seulement les
actes de consultation mais aussi les actes chirurgicaux, spécifiques
à la profession. (…)
b) Il faut régler le problème des assurances…
On peut imaginer la création d’un « forfait risque médical
» perçu pour chaque admission en secteur hospitalier public ou
privé.
2. Dans le secteur Public
a) Méritocratie et centres de responsabilité
La perte de motivation a gagné tout le corps soignant des hôpitaux
publics… Un système de méritocratie doit être réinstallé
dans l’hôpital public. Seul un intéressement et une implication
des chirurgiens dans leur propre fonctionnement permettra de redynamiser les
équipes. La mise en place des centres de responsabilité (ou pôles),
gérés par un trinôme médical, administratif et infirmier
nous apparaît aujourd’hui comme la seule voie pour impliquer les
chirurgiens dans le fonctionnement interne des hôpitaux en vue de plus
de performances…
La création d’un poste de Directeur Médical associé
à celui de Directeur Administratif permettrait de rétablir un
climat de confiance et de respect réciproque entre les deux fonctions.
Ce rôle ne doit pas rester consultatif. Il doit peser dans les choix médicaux
des établissements.
b) Redonner tout son poids au chef d’équipe
…Les hospitalo-universitaires doivent sortir de leur tour d’ivoire.
Ils doivent prendre en charge l’organisation régionale de la chirurgie
avec le responsable de l’observatoire de la chirurgie. Leur implication
dans les hôpitaux de proximité améliorera leur image et
renforcera l’activité chirurgicale qui y sera réalisée.
c) Evolution du statut de Praticien Hospitalier (PH)
Le statut unique de PH paraît ne plus correspondre aux activités
réalisées. Si les syndicats de PH paraissent opposés à
ce genre d’évolution, tous s’accordent à dire qu’il
faut valoriser, autour d’un socle unique, les différentes activités
auxquelles participent les PH. Ainsi, seraient valorisées les activités
de soin pour les PH qui prennent des gardes, les activités collectives
(CME, CLIN…), ou de gestion (centres de responsabilités), les activités
d’enseignement dans les hôpitaux universitaires. Ces activités
seraient contractualisées avec la direction sur la base d’une contractualisation
interne à l’établissement. Contractualiser les activités
de soin, réintroduire la notion de productivité au sein de l’hôpital
public apparaît comme un moyen de valoriser la pénibilité
de certains postes de PH comme en chirurgie, obstétrique ou anesthésie.…La
mise en place des 35 heures et le repos de sécurité vont conduire
les pouvoirs publics à créer de nombreux postes de PH dans les
disciplines concernées par ces nouvelles normes. Ces postes devraient
être ouverts à des chirurgiens du secteur libéral à
condition que la rémunération soit attractive. Prendre en compte
leur ancienneté afin qu’ils intègrent à l’échelon
correspondant à leurs années d’exercice est une perspective
intéressante même si les syndicats de PH y sont aujourd’hui
opposés.
Proposer un nouveau mode d’organisation de l’hospitalisation
Nous devons proposer de nouveaux modes d’organisation des établissements
et de l’offre de soin en fonction de l’existant, des moyens humains
disponibles et des besoins de la population.
1. Une offre de soin trop dispersée : Poursuivre les restructurations
Chirurgiens et anesthésistes sont mal répartis. Les chirurgiens
sont répartis aux 2/3 dans les établissements privés et
les anesthésistes aux 2/3 dans les hôpitaux publics. (…)
En France, 70 % des gardes sont prises par des chirurgiens étrangers
(même dans les CHU) dont on ne connaît pas toujours le niveau de
qualification. Si nous sommes convaincus qu’il ne faut pas faire en matière
de chirurgie de protectionnisme primaire, il paraît évident que
le niveau de qualification et de compétence des chirurgiens doit faire
l’objet d’une évaluation technique plus précise. Les
concours de PAC sont souvent une mascarade à laquelle les examinateurs
se prêtent sous la pression des tutelles, elles mêmes en prise directe
avec les responsables politiques locaux dont le seul but est de maintenir ouvert
l’établissement de leur ville dont il est souvent le premier employeur.
Mais devons nous continuer à fonctionner ainsi ou faut il venir en aide
aux ARH dont la tâche est souvent très difficile ?
De nombreux hôpitaux maintiennent artificiellement une activité
chirurgicale exsangue avec des chirurgiens et anesthésistes non titulaires,
mieux rémunérés que les personnels temps plein des gros
établissements… Seule une réorganisation de l’offre
de soin en regroupant les établissements, en les hiérarchisant,
(CHU, Hôpitaux généraux et hôpitaux de proximité),
en définissant clairement leur mission de soin peut permettre de répondre
aux difficultés rencontrées… Regrouper les chirurgiens sur
les plateaux techniques performants et les intégrer dans des équipes
opérationnelles est une solution à la mise en place des nouvelles
normes horaires de fonctionnement.…
2. Intensifier le rôle des réseaux
(…) Les CHU et les gros CHG doivent jouer le rôle d’animateur
préférentiel mais non exclusif de ces réseaux. Ils ne doivent
pas se positionner en « aspirateurs » de malades au dépend
des établissements de proximité. Les CHU doivent jouer ce rôle
de « grands frères » dans chaque région sanitaire
(…) Le nombre de services universitaires doit être redéfini
dans chaque CHU dont la pérennité doit être évaluée.
3. Décloisonner public/privé
(…) L’offre de soin par région est globale publique et privée
et la tarification à l’activité dont la généralisation
doit intervenir au 1er janvier 2004 sera probablement le moyen de rapprocher
deux cultures médicales qui jusqu’alors s’affrontaient. La
répartition des activités se fait aujourd’hui en France
de manière caricaturale entre les
deux secteurs d’activité public et privé. Les établissements
privés ont pris dans la plupart des régions de France 65 % de
l’activité chirurgicale. Mais pas n’importe quel type d’activité
: les spécialités les plus lucratives, la chirurgie réglée,
la chirurgie ambulatoire avec plus de 80 % du marché. En France, la chirurgie
réglée est l’apanage des établissements privés
alors que l’activité d’urgence est orientée presque
exclusivement vers les établissements publics. (...) Mais peut on laisser
des hôpitaux publics ne fonctionner que sur l’urgence ? (...) Il
faut donc réintroduire de l’activité chirurgicale réglée
dans les établissements publics qui seront maintenus. Nous devons rapprocher
les chirurgiens libéraux des chirurgiens publics dans l’intérêt
des malades, des établissements, de la profession chirurgicale et dans
le souci communautaire du bon usage des deniers publics. L’évolution
des statuts de médecins doit avoir pour objectif le décloissonnement
des structures publiques et privées.
4. Décloisonner universitaire et non
universitaire
(…) Chaque chirurgien a un rôle sanitaire à jouer. Il n’en
a pas toujours une perception exacte et considère que son mode d’exercice
personnel prévaut sur l’organisation générale.
5. Le plateau technique plaque tournante de l’activité
chirurgicale
Nous devons proposer une modernisation de l’offre de soin en l’articulant
autour des plateaux techniques (…) Le seuil de viabilité de l’activité
chirurgicale d’un plateau technique est défini à 200 000
Keuros par an et le seuil minimum d’activité d’un chirurgien
est de 400 interventions par an. La notion d’équipe chirurgicale
doit être réintroduite autour de 4 à 6 chirurgiens minimum.
En deçà, il faut se poser la question de la pérennité
du plateau technique, et donc du maintien de la chirurgie Il faut ouvrir aux
chirurgiens libéraux les plateaux techniques des hôpitaux publics
souvent plus performants et accolés à des structures de réanimation
polyvalente que les établissements privés ne peuvent plus supporter.
Les directeurs d’établissements publics demandent de telles évolutions.
Les chirurgiens libéraux accepteront ce mode de fonctionnement à
condition que le malade reste sous leur responsabilité et que la rémunération
de l’acte se fasse selon leur secteur d’exercice, c’est à
dire à l’acte en attendant la mise en place de la tarification
à l’activité. Il ne Mais il faut imaginer une contre-partie
pour les chirurgiens publics qui accueilleront leurs homologues libéraux.Cette
contre partie doit être incitative. Soit au travers d’une activité
libérale en hôpital général, soit en permettant à
ces praticiens de pouvoir exercer une partie de leur activité en établissement
privé (…)
6. Le fonctionnement des blocs opératoires
(…) L’activité opératoire d’un bloc opératoire
peut varier du simple au double : de 98 632 Keuros/salle/an en secteur privé
sous OQN à 41 249 K euros/ salle/ an en hôpital général
en moyenne. (…) Nous proposons la création de postes de coordinateurs
de blocs opératoires.
7. La chirurgie ambulatoire
(…) Faire décoller la chirurgie ambulatoire c’est possible.
8. L’urgence
(…) L’urgence chirurgicale concerne en grande partie l’hôpital
public. N’est il pas normal qu’un jeune chirurgien compétent
choisisse un exercice organisé dans un établissement privé
plutôt que de devoir assumer les difficultés et les contraintes
de l’urgence dans un établissement public ? (...)
Réorganiser la chirurgie
(…)Toute réorganisation de la chirurgie doit s’appuyer sur les besoins de la population.
1. L’observatoire régional de la
chirurgie (…)
2. La régulation de l’installation
Les études de la démographie médicale font apparaître
une mauvaise répartition des effectifs sur le territoire français…
Il faut mettre en place les filières chirurgicales dans toutes les spécialités
par région, y compris
pour la chirurgie générale dont il faudra mieux définir
le champ d’action (…)
3. Les carrières universitaires
Il nous paraît important de faire de vrais chirurgiens universitaires
et non de faux chercheurs (…) La recherche en chirurgie doit être
réorientée : autour des bio-matériaux, de la robotique,
des transferts d’image, de l’informatique… et non plus dans
des laboratoires de biologie moléculaire ou de
recherche fondamentale ….L’enseignement et la recherche clinique
doivent ils être exclusivement réservés aux hospitalo-universitaires?…
Un chirurgien libéral devrait pouvoir faire de l’enseignement dans
sa discipline et accéder au rang de Professeur associé…
Car il faut aussi décloisonner l’enseignement.
4. L’obsolescence du DES de Chirugie Générale
et la révision des maquettes (…)
Les services formateurs doivent être régulièrement évalués
5. La formation chirurgicale en Europe (…)
6. L’organisation de la formation continue et l’évaluation
des compétences
(…) On est en droit de se demander s’il ne faut pas aller vers une
certification chirurgicale véritable brevet d’exercice délivré
à des chirurgiens pour réaliser certains types d’interventions…
Les compétences chirurgicales doivent être vérifiées
au cours du temps.
7. L’importation des chirurgiens étrangers
La profession doit prendre l’entière responsabilité de la
gestion des ses effectifs en rapport avec le ministère, les ARH et l’observatoire
régional de la
chirurgie. L’importation de chirurgiens étrangers ne peut s’envisager
que lorsque les restructurations seront achevées et que tous les chirurgiens
exerçant sur le territoire auront été utilisés au
maximum de leurs compétences. Si elle devait avoir lieu, cette importation
devrait veiller à la mise en place d’une sélection stricte
de la qualification des chirurgiens importés, non seulement sur le plan
théorique mais surtout sur le plan technique par des stages d’évaluation
dans les services validants. Cette solution doit être l’ultime recours.
Dans l’immédiat, il faut optimiser les moyens chirurgicaux en place.
Plusieurs pistes peuvent être proposées.
a) Donner les moyens de travailler aux chirurgiens en poste
Nous allons manquer de chirurgiens mais le nombre de chirurgiens n’a jamais
été aussi élevé ! La productivité chirurgicale
est très inégale dans les deux secteurs d’activité.
L’activité opératoire moyenne d’un chirurgien public
est de 24000 Keuros par mois alors que l’activité moyenne d’un
chirurgien privé est de 60000 Keuros (…) Les chirurgiens des hôpitaux
publics sont en sous activité chronique car l’hôpital public
est devenu une structure de moins en moins efficiente, insuffisamment imprégnée
de la notion de rentabilité, quelquefois submergée par l’urgence
source de désorganisation permanente, les 35 heures, le repos de sécurité
et bien d’autres contraintes… Il faut réintroduire la notion
d’incitation à l’activité. A l’opposé,
les chirurgiens privés sont en suractivité croissante
pour compenser l’augmentation incessante des charges. Toujours plus d’activité,
car toujours plus de charges professionnelles et des actes qui ne sont toujours
pas revalorisés. Comment ne pas imaginer un phénomène d’épuisement
? Seul un décloisonnement des secteurs d’activité et une
optimisation des personnels chirurgicaux existants permettra de faire face à
la crise annoncée (…)
b) Utiliser les chirurgiens à leur niveau de compétence Cela passe
par une meilleure définition du niveau de compétence de chaque
praticien qui se verra confier des malades en fonction de son niveau technique
mais aussi de son plateau technique (….) Nous devons définir de
façon précise la mission sanitaire de chaque chirurgien français.
(…)
c) Utiliser tous les chirurgiens qui en expriment le désir.
d) Des nouveaux métiers
Comme pour les ophtalmologistes, le glissement des tâches est un moyen
de récupérer du temps chirurgical… Sans vouloir prôner
les officiers de santé, on peut imaginer la création d’un
corps d’assistants opératoires capables et habilités à
réaliser certains gestes chirurgicaux.
Offrir une autre image de la chirurgie
aux jeunes en formation
1. Offrir une autre perspective de vie aux plus
jeunes
(…) Une revalorisation financière seule ne suffirait pas à
modifier cette évolution actuelle. Nous devons repenser les carrières,
les modes d’exercice, le temps de travail, le rythme des gardes et astreintes.
Les chirurgiens doivent travailler en groupe, par fédérations
de services ou dans des cabinets chirurgicaux. (... )Il faut donc augmenter
le nombre d’internes en formation pour leur permettre de choisir les disciplines
chirurgicales. Pour cela, il faut valoriser les carrières chirurgicales.
2. Organiser une campagne de promotion pour la chirurgie
3. Modifier le concour à l’internat
Le système du concours national réduit la réactivité
de chaque discipline face aux problèmes démographiques. Régionaliser
la santé, d’abord sur la base d’une expérimentation
avant de l’étendre à tout le territoire devrait permettre
au travers de l’observatoire de la chirurgie de répondre aux besoins
de la population. Dès le concours 2003, il faut augmenter le nombre de
places en chirurgie et réintroduire les filières de manière
urgente. (…)
4. Augmenter et modifier le numerus clausus (…)
Pr Jacques Domergue
Propos recueillis par Eric Favereau dans Libération daté du 19
fevrier 2003
La réaction de François
Aubart
président de la CMH,
chef de servive d’orthopédie de l’hôpital
Simone Veil (Val d’oise)
Encore un rapport sur la crise dramatique de la chirurgie en France. Or
rien ne se passe…
Cela montre l’incapacité des politiques à agir sur la dégradation
la plus exemplaire de notre
système de santé. Le rapport Domergue montre que la gracité
de la situation est due à de
graves distorsions entre le public et le privé. Et c’est exact.
La France dispose d’un système
privé unique par son importance en Europe. remettre en cause cette situation
terrorise les
politiques. C’est un frein majeur. Dans le rapport, la réponse
est de décloisonner les deux
secteurs, et de créer un grand supermarché de la chirurgie de
la chirurgie dans lequel ils
coopéreraient dans un monde heureux. J’avoue être dubitatif.
Le deuxième point qui explique l’inaction des politiques, c’est
qu’en terme de démographie
les perspectives sont terrifiantes. Or cette situation est le fruit de la non-décision
calamiteuse
des politiques.
Et aujourd’hui le ministre de la santé ne dit rien…
Je n’imagine pas que ce silence perdure. Je lui fais confiance pour créer
des postes d’interne
en chirurgie. mais je m’inquiète de l’engagement du gouvernement.
Car la redistribution
entre le public et le privé ne concerne pas que le ministre de la santé.
Ce sont des choix
d’un gouvernement ; or, manifestement, à Bercy et rue de Grenelle
on s’y refuse...