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médicaments à l’hôpital :
Des propositions intéressantes… mais gare aux effets pervers !
par le Professeur Gilles AULAGNER, président du SNPHPU


Au lendemain de la publication du rapport de la Cour des Comptes sur le médicament hospitalier, nous demandions au nouveau Ministre de la santé de réunir un Groupe de travail, pour présenter non seulement des réponses à un document partial, mais aussi de proposer des mesures constructives pour optimiser le secteur du médicament hospitalier. Nous sommes heureux d’avoir été entendus.


En effet, le « rapport sur le médicament à l’hôpital» qui vient d’être rendu public, rédigé à la demande du Ministre en charge de la Santé, le professeur Jean-François Mattéi, par notre collègue, le Docteur M.C. Woronff- Lemsi du CHU Besançon en collaboration avec le Docteur J.Y. Grall du CH de Chateaubriant, B. Monier du CH d’Avignon et JP Bastianelli de l’IGAS, répond à cette attente.
C’est la première fois que l’on s’intéresse sérieusement aux médicaments hospitaliers : ce rapport redresse un certain nombre des erreurs qu’on avait pu trouver dans celui de la Cour des comptes de Septembre dernier et dans celui de l’IGASS publié en 1996.
Nous souscrivons globalemen tà la plupart des axes de proposition affichés par ce rapport, axes extrêmement intéressants, d’autres nécessitant d’être revus ou amendés.


1. Afficher la politique nationale du médicamentà l’hôpital et structurer sa mise en œuvre
Si nous reprenons les principaux axes de propositions faits par ce rapport, nous ne pouvons qu’être favorables à afficher la politique nationale du médicament à l’hôpital, trop souvent la parente pauvre de la politique hospitalière, mais que l’on n’oublie pas de montrer du doigt dès lors qu’il existe des dépassements budgétaires puisque, bien entendu, on ne peut toucher aux dépenses de personnel, le médicament devient le baudet de la fable de Jean de la Fontaine.
Le projet d’unifier et de structurer la mise en oeuvre de la politique nationale du médicamentà l’hôpital que nous demandions avec insistance au Ministre dès septembre 2002 pour qu’il n’y ait qu’un « pilote dans l’avion » est enfin entendu. Cependant, nous sommes étonnés du choix de la DGS qui n’a montré ni appétences, ni compétences particulières, ni souci de la concertation sur ces dossiers.
Un tel choix éloignerait la politique du médicament à l’hôpital de l’ensemble des décisions concernant ce dernier. Nous sommes donc radicalement pour un « seul pilote dans l’avion », mais pour que celui-ci soit exclusivement traité par la DHOS afin que le médicamentà l’hôpital reste lié au problème d’hospitalisation et d’offres de soins, comme il l’est de l’offre de soins, en général.


2. Reconsidérer les procédures nationales d’accès à l’innovation et aux médicaments

La dispensation ambulatoire (« rétrocession ») apporte, pour bon nombre de médicaments, un service irremplaçable aux patients relevant de thérapeutiques orphelines ou d’un certain nombre de thérapeutiques spécifiques (antirétroviraux pour le traitement du SIDA, médicaments antihémophiliques…) comme le reconnaissent et l’exigent les associations de patients.
Il s’agit d’une véritable mission de santé publique que l’hôpital remplit de manière exemplaire depuis plus de quinze ans. Nous restons extrêmement partisans de la mise en place d’un réseau pharmaceutique pour la dispensationà ces patients, permettant une première prescription hospitalière, une première dispensation hospitalière, puis après établissement d’un dossier pharmaceutique, la possibilité de choix par le malade de la pharmacie (PUI ou Pharmacie d’officine) de son choix. Nous souscrivons à la nécessaire révision de la liste des médicaments de la réserve hospitalière sur les critères médicaux dans l’intérêt des patients, et non pas pour de sombres et obscures raisonsé conomiques du fait du choix de tel ou tel laboratoire pharmaceutique qui n’a pas obtenu le prix de remboursement qu’il souhaite.
En ce qui concerne les ATU, si nous souscrivons tout à fait à la proposition de faire disparaître les ATU de cohorte, nous pensons que les médicaments en ATU sont encore en cours d’évaluation et dans ces conditions, le prix retenu doit être celui du « comparateur ». Ce qui présente l’avantage de la simplicité.
Nous nous réjouissons de voir la volonté de promouvoir des évaluations pharmaco-économiques des médicaments et souhaitons très vivement que dans les projets hospitaliers d’évaluation clinique et pharmaco-économique, la participation des pharmacies hospitalières soit forte et importante. C’est à cette seule condition que cette réévaluation trouvera la plénitude de ces effets.
En ce qui concerne les prix d’achat des médicaments, en particulier innovants, si un prix de référence peut être envisagé, il ne doit pas l’être par une seule structure nationale, rappelant la Pharmacie Centrale de l’Union Soviétique, de triste mémoire, mais laisser une grande marge de liberté aux acteurs locaux pour leur permettre, dans le cadre d’un code des marchés assoupli, de remplir pleinement leur rôle et d’obtenir des résultats souvent bien meilleurs que ce qui a pu être constaté au niveau national.


3. Responsabilisation des acteurs
Dans le cadre de la thématique intitulée « mieux impliquer les acteurs », les propositions faites nous paraissent des plus intéressantes. Elles prennent en compte, pour la première fois, le rôle clé du pharmacien hospitalier dans la gestion du médicament et des dispositifs médicaux.
De même, en ce qui concerne la thématique « mieux informer les acteurs », le SNPHPU, qui a participé extrêmement activement à la création et au développement du CNHIM, réalisation de l’ensemble de la profession pharmaceutique, ne peut que se réjouir du renforcement des assises financières de cette institution qui effectuent un travail remarquable sur des bases financières trop souvent aléatoires et instables.
En ce qui concerne la formation des acteurs, les Facultés de Pharmacie, dans le cadre notamment des DES de Pharmacie Hospitalière, n’ont pas attendu ce rapport pour mettre en place des formations de qualité et de haut niveau, en ce qui concerne les achats, les erreurs médicamenteuses… Notre organisation professionnelle ayant elle-même mis en place, il y a quelques années, une formation qui a été extrêmement riche d’enseignements pour tous les participants et dont ont pu bénéficier nombres de pharmaciens hospitaliers, y compris l’un des rapporteurs.
On peut, à ce niveau, regretter que le travail remarquable, fait par l’Assocation AQTE avec la mise en place du réseau REEM recueillant les notifications des erreurs médicamenteuses, n’ait pas été valorisé suffisamment dans la mesure où il s’agit d’un travail national de grande qualité et qui constitue à l’heure actuelle, la seule base existante en France dans ce domaine.

4. Moderniser et sécuriser le circuit du médicament
Nous ne pouvons que nous réjouir de voir enfin pris en compte la nécessaire lutte contre l’iatrogénie, l’informatisation du circuit du médicament et le développement de la dispensation nominative et les unités centralisées de reconstitution que nous appelons de nos voeux depuis de nombreuses années. Nous espérons que les propositions fortes du rapport en la matière ne resteront pas, une nouvelle fois, lettre morte comme d’autres rapports sur le même sujet. Seul un financement fléché volontariste permettra la mise en place de cet axe extrêmement important pour la Sécurité sanitaire de nos concitoyens (n’oublions pas que l’iatrogénie médicamenteuse tue plus que la route, en France).


5. Adapter et simplifier la réglementation
Notre organisation adhère aux propositions qui rejoignent ses propres préoccupations, notamment en matière d’assouplissement du code des Marchés (nous rappellerons l’annulation d’une partie de celui-ci par le Conseil d’Etat suite à une requête du SNPHPU). Nous espérons que les autres propositions figurant dans ce chapitre, qui aurait plutôt tendance à relégiférer, ne constitueront pas un élément complémentaire de « harcèlement textuel » dont notre profession
fait trop souvent l’objet.
L’extension des attributions des groupements de coopération sanitaire aux activités de pharmacie, aussi intéressante qu’elle soit, ne doit pas permettre l’éloignement des pharmacies et des pharmaciens des prescripteurs et des patients car c’est bien à ce niveau là qu’on peut optimiser les thérapeutiques et par là, réaliser une véritable maîtrise médicalisée des dépenses dans le domaine. Il ne faudrait pas qu’une démarche de coopération se traduise par l’effet inverse de celui recherché.


6. Dynamiser les modes d’allocations budgétaires
Un certain nombre de propositions nous paraissent extrêmement pertinentes, même si la mise en place de la tarification à l’activité doit être envisagé avec beaucoup de prudence, compte tenu d’un système d’information médicale embryonnaire et peu fiable. Les propositions faites doivent favoriser le financement des molécules innovantes et/ou coûteuses, hors de la dotation globale, pour faciliter l’accès des malades aux innovations; les difficultés se poseront à un moment ou à un autre, lorsque les produits seront repris dans la dotation globale ou dans le coût de la tarificationà la pathologie. A ce niveau, il faudra analyser et prévenir les effets pervers qui peuvent surgir pour que la tarification à la pathologie permette de suivre l’évolution de qualité des traitements et ne soient pas au contraire un freinà cette évolution.


En conclusion
Ce rapport fouillé permet d’ouvrir des pistes de réflexions intéressantes, même si certaines de ces propositions doivent être réanalysées avec attention pour
é viter certaines dérives et certains effets pervers non prévus que l’on pourrait rencontrer au cours de la mise en oeuvre de ces éléments. Il devrait être, pour l’hôpital français et la pharmacie hospitalière française, un élément important de réflexion et de progrès sous réserve que les dispositions proposées soient prises avec le tact et la mesure nécessaires.

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