la réanimation en France : une restructuration
attendue
par le Pr PE Bollaert, président du syndicat national des médecins
réanimateurs des hôpitaux publics
La réanimation est née de
la création de techniques
de suppléance
vitale à l’occasion de maladies
endémiques ou de véritables
fléaux comme la grand épidémie de poliomyélite
dans l’Europe des années 50.
Les progrés de l’anesthésie et
de la chirurgie ont contribué à
son développement. La
nouveauté, la complexité et
les risques des techniques
utilisées, autant que la gravité des malades pris en charge
ont rapidement justifié une
organisation spécifique et
autonome, centrée sur la
multidisciplinarité, le travail
en équipe et une permanence
médicale sur place.
Parvenue aujourd’hui à l’age
adulte, reconnue et souvent
valorisée dans son environnementhospitalier, la réanimation
doit pourtant
répondre toujours mieuxà des besoins croissants dans
un univers hospitalier appelé à
se recomposer.
Des acquis récents
importants
Les établissements de soins
se sont dotés depuis longtemps
de structures de réanimation.
Organisées en
services, secteurs ou unités
de taille, de dénomination et
de compétences diverses, ces
structures sont placées sous
la responsabilité de réanimateurs
médicaux, d’anesthésistes-réanimateurs, parfois
de spécialistes non réanimateurs.
La « lisibilité » de ces
unités de soins en est parfois
difficile, aussi bien pour les
usagers que les médecins
extérieurs et leur administration
hospitalière. La qualité du service rendu, notamment
en termes de sécurité de
malades hautement vulnérables
et dépendants peut
varier d’une unité à l’autre,
en fonction notamment des
effectifs de personnel. La
logique d’élaboration de
normes de sécurité et de qualité minimales s’imposait à la
réanimation. Il aura fallu plus
de 5 années pour que les
efforts conjoints des nombreuses
instances représentatives
de la discipline, en dépit
des craintes et obstacles liés à toute entreprise normative,
soient finalement couronnés
de succés. L’Arlésienne a fait
place aux décrets n° 2002-465
et 2002-466 du 5 avril 2002.
Ces textes réglementaires définissent
en les séparant les activités
de réanimation, de soins
intensifs et de surveillance
continue. Ils définissent les
qualifications de l’équipe
médicale, imposent une permanence
médicale exclusive à
l’unité et un ratio de personnel
soignant minimal par
malade (2 infirmiers pour 5
malades et un aide-soignant
pour 4 malades).
De manière quasi-simultanée,
le DESC de Réanimation
Médicale, faisant partie du
groupe I (c’est-à-dire non qualifiant)
depuis sa création, était
transformé en DESC qualifiant
faisant de la Réanimation
Médicale une spécialité d’exercice. Cette évolution était
accompagnée par une
augmentation de durée d’un
an du DES d’Anesthésie et
Réanimation Chirurgicale,
dont l’intitulé se transformait
en DES d’Anesthésie-Réanimation. Ces jalons
importants dans la reconnaissance
de la réanimation ne
doivent pas faire méconnaître
les défis que les réanimateurs
doivent encore relever.
Les difficultés actuelles :
la réanimation n’est pas épargnée
Moins médiatique que les
urgences avec lesquelles le
grand public la confond
encore, la réanimation a peu
fait parler d’elle au cours de
ces années de crise hospitalière.
Il s’agit pourtant d’une
discipline qui, à défaut d’être
complètement sinistrée, vit
encore précairement. Les
chiffres sont parlants. Dans
une enquête effectuée par le
Syndicat National des
Médecins Réanimateurs des
Hôpitaux Publics (SNMRHP)
en 1999 auprés de 175 services
de réanimation hospitaliers
et hospitalo-universitaires,
le besoin en postes supplémentaires était estimé en
moyenne à 1,5 équivalents
temps plein (ETP) par service
sans prise en compte des
mesures statutaires nouvelles.
Il est établi, dans une autre
enquête de ce syndicat effectuée
en 2002 que les médecins
réanimateurs, toutes
catégories confondues, travaillaient
en moyenne
79 heures par semaine, le
temps moyen hebdomadaire
consacré aux activités de
garde s’établissantà 19 heures. Ces données témoignent,
s’il en était encore
besoin, de la pénibilité de ce
type d’activité. Si l’instauration
des mesures d’aménagement
et de réduction du temps de
travail, la généralisation du
repos quotidien ou de sécurité ont été plutôt
bien accueillies dans leur principe par une
grande majorité de réanimateurs,
elles n’ont pas manqué de créer beaucoup d’émoi
dans les modalités de leur
application. En effet, un travail
du SNMRHP, avalisé par
l’ensemble des instances
représentatives de la réanimation
médicale, considérait
que l’application des nouvelles
mesures de réduction du
temps de travail nécessitait un
minimum de 7 équivalents
temps plein pour une unité de
10 lits. Ces estimations étaient
fondées sur l’analyse de l’activité habituelle des médecins.
La Société Française
d’Anesthésie-Réanimation,
avec une approche un peu différente
du calcul des besoins,
permettait d’aboutir à des
conclusions très proches.
Une évaluation faite en 2003
par le SNMRHP montre que
le nombre moyen d’équivalents
temps plein est
aujourd’hui de 4,3 par service
pour une moyenne de
15 lits. Ces chiffres ne doivent
pas faire oublier que des
disparités importantes peuvent
exister d’un serviceà l’autre, certaines unités
restant considérablement sousdotées.
En revanche, il
n’existe pas de différence
fondamentale d’effectifs
médicaux entre services hospitalo-universitaires et services
hospitaliers.
Côté personnel non médical,
la situation n’est bien évidemment
pas beaucoup plus
réjouissante dans les services
de réanimation que sur
l’ensemble de l’hôpital. Les
deux tiers des services interrogés
ne sont pas aux normes
des décrets « réanimation» et pour certains d’entre
eux, le comblement du déficit
imposera un recrutement
important. On comprend dès
lors mieux pourquoi la circulaire
d’application de ces
décrets, élaborée depuis plus
de 18 mois, n’est toujours
pas publiée à ce jour !
Vers quelles solutions ?
Il faut maintenir et accroître
l’attractivité de la discipline.
Dans un paysage démographique
médical aussi désolé que le nôtre, il est important
de promouvoir une attractivité importante. La possibilité d’une
effective réduction
du temps de travail est un facteur
indiscutablement positif pour
les plus jeunes qui souhaitent
concilier vie professionnelle
et activité personnelle.
L’attractivité passe aussi par
ce qui fait l’un des points forts
de la discipline : un travail en équipe enrichi par la coexistence
de compétences spécialisées
d’origines différentes
dans un souci permanent de
maintien d’une haute qualitédes soins. Ce n’est sans doute
pas pour rien que la Sociétéde Réanimation de Langue
Française a été une pionnière
en France dans l’élaboration
de référentiels professionnels.
Ces valeurs excluent dans
l’esprit des réanimateurs le
décompte horaire du travail
dont les effets leur semblent
dévastateurs.
Il faut augmenter le nombre
de postes médicaux dans les
services de réanimation. Ce
point est prioritaire. Les
mesures d’accompagnement
de l’aménagement et de la
réduction du temps de travail
ont permis de bénéficier d’un
certain nombre de postes
dont certains ont déjà étépubliés. Dans l’ensemble, la
plupart des services de réanimation
ont obtenu près d’un équivalent temps plein. Près
de 80 % de ces postes ont
des candidats et seront doncrapidement pourvus. Ces
mesures qui vont dans le bon
sens sont encore insuffisantes.
Enfin, il est indispensable de
restructurer l’ensemble de
cette activité. Cette mesure
est sans doute la pierre angulaire
de l’avenir de la discipline.
Dévolue à la révision
du volet SROS de réanimation,
elle doit s’établir dans
un souci d’équité de l’offre
de soins sur l’ensemble du
territoire, de mutualisation
d’un personnel restreint au
profit d’unités de taille suffisante,
enfin de prise en
compte des besoins. Cela
impose au préalable une
enquête approfondie effectuée
région par région sur
l’activité actuelle des services
qui déclarent pratiquer la
réanimation. Cette enquête a
un double but : d’une part
permettre d’approcher le
besoin régional en soins de
réanimation, d’autre part évaluer
les possibilités de
regroupement d’activités
d’unités ayant une masse critique
insuffisante pour perdurer
en l’état. La carte des
services de réanimation pourrait
être largement remaniée,
au profit d’un nombre
moindre d’unités, mais de
plus grande taille, dotées
d’un personnel médical et
non médical suffisant, donc
aptes à assurer sécurité et
qualité des soins. Les services
de réanimation judicieusement
répartis sur le territoire
fonctionneront en réseau
avec des unités de surveillance
continue. Celles-ci,
plus nombreuses en réponse
aux nécessités de proximité,
assureront dans certains cas
l’amont et l’aval de la réanimation,
mais aussi la prise en
charge autonome de nombreux
patients ne relevant
pas directement de l’activité de réanimation.
retour à la page précédente