Le résultat de l'élection présidentielle ne
marque pas une sortie de crise. Des millions de français
ont témoigné de leur exaspération, d'autres
ont choisi des chemins de traverse à la recherche de nouveaux
itinéraires. Tout reste à faire pour que s'installe
un nouveau pouvoir, légitime, stable et efficace. Une obligation
de résultat plus qu'un affichage de moyens s'impose à
l'Etat et à ses responsables. Police, justice, santé
et éducation constituent les 4 bras armés de la bataille
qui s'engage. Il s'agit de réintégrer les gens, les
cités, les campagnes dans une communauté retrouvée.
Il faut retrouver les traits d'union entre solidarité, sécurité
et justice sociale.
Transcendant la vie " des gens ", la
santé, la prévention et le système de soins
font partie des priorités. Notre système de santé
est grippé et la succession des cortèges catégoriels
depuis de nombreuses années sont autant de symptômes
d'une affection générale. La prévention et
l'éducation pour la santé ne sont pas prises en compte,
la médecine générale n'a pas de projet, l'hôpital
a besoin de sommes considérables en évitant son introuvable
réorganisation. Quant aux cliniques même les meilleures
sont parfois proches des frontières du redressement judiciaire.
Les soins à domicile stagnent depuis 20 ans, alors que les
besoins liés à prise en charge du handicap et des
personnes âgées justifient une véritable révolution.
Le médicament est irrationnellement géré. La
perte de certains repères déontologiques est le dernier
avatar de la crise. Des changements profonds sont indispensables..
Nous souhaitons y apporter notre pierre au travers
de 3 axes de projet :
· Définir de nouveaux niveaux de
responsabilité, de partage et de décision.
· Revisiter la mise en place de la réduction du temps
de travail en l'utilisant comme outil de changement des organisations,
· Redéfinir les responsabilités, les coordinations
et les engagements de tous les acteurs, dans le respect de la dualité
public/privé de notre système de santé.
I - DEFINIR DE NOUVEAUX NIVEAUX DE RESPONSABILITE,
DE PARTAGE ET DE DECISION.
De l'Europe
Dans le contexte de mondialisation, l'action de l'Etat est rognée
en haut par les engagements et les directives européennes.
A l'opposé, elle est contestée par les collectivités
locales qui cherchent espace et moyens. Faute de règles choisies
les décisions sont souvent subies au gré des équilibres
de circonstances. Cela doit changer. Dans le champ de la santé,
il est indispensable de redéfinir les nouveaux lieux de pouvoir
et de responsabilité. Cette exigence ne doit pas être
synonyme de querelles idéologiques sur la déconcentration,
la régionalisation ou les contraintes de la supranationalité.
La politique de santé commune en Europe est une réalité
comme l'a été la politique agricole. La circulation
des patients et des professionnels de santé en Europe va
se développer et doit être évaluée. La
réforme des études médicales, qui est une priorité,
doit prendre en compte certains repères européens
Aux terroirs et aux régions
Mais de l'autre côté du miroir, Il est tout aussi
indispensable de définir, à un niveau territorial
proche des gens, des lieux d'écoute, de concertation et de
décision qui autorisent une véritable modernisation
du système. Cela signifie qu'au niveau de ces territoires,
véritable " terroirs ", unités de base du
système, des bassins de populations peuvent être définis.
Au sein de ces territoires, la sacro-sainte autonomie des établissements
hospitaliers doit être redéfinie. A titre d'exemple
il faut nommer les médecins des hôpitaux sur un groupe
d'établissements et non sur un hôpital citadelle défendant
pré carrés et intérêts de chapelle. Une
approche coordonnée et graduée de l'organisation des
soins doit être une priorité. Il s'agit de rompre le
nud gordien qui empêche de rendre compatible proximité,
compétence et concentration des moyens. Il s'agit, en s'appuyant
sur les supports de communication modernes, en concrétisant
les réseaux, en tenant compte des caractéristiques
territoriales, d'aboutir à un nouveau service rendu aux patients
par des équipes de professionnels. C'est par grandes activités
médicales que doivent être élaborés des
projets et des organisations sanitaires communes. C'est au niveau
de ces territoires que la prise en charge des urgences et la continuité
des soins doit être définie et organisée. Ils
doivent bénéficier de l'implication de tous dans le
respect de la déontologie. Au delà, ces territoires,
unités de base doivent être organisés et coordonnés
régionalement. Bien évidemment la politique d'investissement
et de financement doit être moteur de cette politique. Le
contrat doit lier des établissements et des réseaux.
Pour ces contrats la région doit être un lieu nouveau
d'information, de concertation et de décision.
.responsabiliser, administrer
ou gérer
Une politique de santé menée au plan régional
ne peut être confiée à la seule administration.
La population doit pouvoir y être informée et un système
représentatif doit, avec les professionnels, être acteur
de décision. La décentralisation régionale
de 1982 a institué des dualités de pouvoir, des répartitions
de compétences arbitraires (aux régions de moderniser
les lycées, mais à l'état celle des universités,
et tant d'autres exemples). Les ordonnances de 1996 ont créé
une administration régionale pour les hôpitaux. Elles
ont rapproché assurance maladie et administration déconcentrée
de l'Etat. Mais, elles ont mis de côté la pourtant
indispensable interface avec la politique régionale et ses
représentants et oublié le lien avec la population.
La place et le rôle des professionnels et en particulier des
médecins ont été marginalisés alors
qu'en affichage on a prôné l'engagement et la responsabilité.
Bref en matière de légitimité, de responsabilisation
des acteurs et de définition de nouvelles autonomies tout
ou presque reste à faire. Au niveau régional, au niveau
des territoires, au sein des hôpitaux, les responsabilités
médicales doivent être redéfinies, reconnues
et valorisées.
A l'hôpital, au fil du temps, médecins, chirurgiens,
psychiatres et pharmaciens ont vu leur place et leurs missions banalisées.
Sont ils des producteurs de soins parmi d'autres ? Au lieu de faire
des médecins acteurs de gestion et de distribution des soins,
aux côtés des administratifs/gestionnaires, leur rôle
et leurs missions ont été contractés jusqu'à
créer ces derniers jours une nouvelle fonction, celle de
directeur des soins, confiée à un cadre para médical.
Nous pensons au contraire que leurs missions et leurs responsabilités,
au service des malades et du public, doivent être affirmées.
Il est urgent de re-connaître et re-valoriser les responsabilités
médicales au niveau des services et au niveau des établissements.
La politique contractuelle liant notamment le suivi de la qualité
des soins et l'activité médicales doit en être
le corollaire.
II REVISITER LA MISE EN PLACE DE LA REDUCTION
DU TEMPS DE TRAVAIL CONÇUE COMME OCCASION DE CHANGEMENT DES
ORGANISATIONS.
RTT : avantage acquis et/ou réorganisation.
Chacun s'accorde sur les difficultés et parfois les incohérences
de la mise en uvre de la réduction du temps de travail
à l'hôpital. Le dossier de la RTT est victime du jeu
usant des rapports de pouvoir, des financements toujours insuffisants,
et de toute façon, de l'incapacité à disposer
des moyens humains adaptés. Mais si le problème des
moyens doit être revu, une politique hospitalière ne
peut être appréciée bonne ou mauvaise sur le
seul critère que les moyens alloués sont importants
ou insuffisants.
L'Etat a failli dans la prévision et la gestion des flux
des professionnels de santé. De plus les perspectives démographiques
vont entraîner dans les 10 ans qui viennent le départ
à la retraite de 250.000 à 300.000 agents hospitaliers.
La poursuite aveugle d'une politique exclusive d'équilibre
introuvable des comptes pourrait, pour certains réduire cet
événement à une opportunité de réduction
des effectifs. Dans le champ de la santé cela n'est pas envisageable
ni bien évidemment souhaitable. L'alternative consiste engager,
à l'occasion de ce mouvement de génération
considérable, une politique de formation et de promotion
des recrutements en contractualisant les réorganisations
et les mobilités indispensables.
Dans un esprit différent, la réduction du temps de
travail doit être l'occasion de réorganiser les temps
et " les moments " des professionnels autour du patient.
Pour les médecins, pour les infirmières et pour tous
les professionnels intervenants, chacun à sa place, ce bien
éthique retrouvé, ce dialogue et ce partage avec le
malade à l'hôpital public peut être un moteur
essentiel.
Le temps à l'hôpital : chacun sur
son méridien.
Or le temps infirmier " alloué " à chaque
patient est inférieur à un quart d'heure par jour
; encore est-il, pour beaucoup, consacré à la sauvegarde
des " constantes " et aux actes techniques ! Quant aux
médecins la réévaluation du numerus clausus
est une urgence. Mais cela ne doit pas dissimuler les incohérences
de la distribution actuelle des spécialistes entre secteur
public et secteur privé qui sont majeurs. Redistribuer 20%
des spécialistes médicaux exerçant dans le
secteur privé vers le secteur public est un objectif non
seulement utile au fonctionnent hospitalier mais potentiellement
efficace en termes d'équilibre financier. Dans le même
temps, impliquer les jeunes médecins dans l'action hospitalière
après leur internat procèderait du même objectif.
En suscitant une nouvelle motivation pour les soignants, en déclenchant
un véritable mouvement démographique de redistribution,
on peut créer des conditions acceptées d'aménagement
du temps de travail. Elles seraient synonymes d'abandon de la rigidité
impersonnelle des segments de temps travaillé au profit de
la souplesse et de la personnalisation des moments et des temps
autour du malade.
Cette évolution n'est possible que si les termes de la responsabilité
de chacun sont transformés. En quelque sorte, l'éthique
de responsabilité et l'éthique médicale doivent
être refondées, seule façon notamment de limiter
les divisions entre les pratiques, les spécialités,
les hôpitaux. Une dose de choix individuels doit permettre
de trouver un équilibre entre droits, devoirs et reconnaissance.
III DANS LE RESPECT DE LA DUALITE PUBLIC/PRIVE
DE NOTRE SYSTEME,
LES RESPONSABILITES, LES COORDINATIONS ET LES ENGAGEMENTS DOIVENT
ETRE REDEFINIS.
La communauté médicale a été et est
soumise à des charges de travail inacceptables et souvent
dangereuses pour les patients. Avec des moyennes hebdomadaires de
travail d'une cinquantaine d'heures à l'hôpital et
de 52 heures en ville, on se doit de refuser le risque induit pour
le patient. Avec le vieillissement de la population médicale
et de la population générale, les contraintes liées
à la continuité des soins deviennent de plus en plus
insupportables. Dans les hôpitaux, des transferts d'activités
non maîtrisés créent surcharge, inadéquation
et donc remise en cause de la qualité des soins. Les thèmes
de la continuité des soins, de la prise en charge des urgences,
de la responsabilité déontologique font l'objet de
missions, de rapports, de conférences.
Et après ? Peu de choses : la porte est ouverte aux égoïsmes
prioritaires, aux utilisations de circonstance.
Si on laisse les choses en l'état on aboutira à un
hôpital sentinelle ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur
7 pour répondre aux impératifs de la prise en charge
en urgence et à la continuité des soins. De l'autre
côté de la rue, des établissements privés
fonctionneront de façon programmée et spécialisée.
Entre les deux, les praticiens libéraux effectueront leur
métier en se désinvestissant progressivement de la
continuité des soins. Dans ce scénario catastrophe,
on aboutira rapidement à une défaite
pour les
patients ! En effet, le risque est considérable de voir les
compétences médicales refluer hors l'hôpital
et hors les contraintes. Le risque est considérable de voir
des pratiques inégalitaires se généraliser.
Le risque est grand de voir le rôle du médecin ramené
à celui de prestataire de service. Pour certains l'objectif
est la mise en place de nouveaux financements avec des assureurs
et des mutuelles financeurs au premier franc des dépenses
de santé. La conséquence immédiate serait comme
aux Etats Unis dans les HMO, une sélection des risques, des
médecins, des hôpitaux et des malades.
Le système de santé français est évalué
comme le meilleur du monde. Cette " pôle position "
est très fragile et crée des devoirs. La formation
initiale des professionnels de santé et les études
médicales doivent être réformés sans
délai ; un consensus existe. La place et le rôle des
médecins dans le système doivent être reconnus.
Mais dans un système de financement par l'assurance maladie,
cette reconnaissance crée des devoirs. Les institutions publiques
et privées ont des missions différentes mais leur
financement est de même origine. La priorité doit être
de gommer les inégalités qui minent la cohésion
sociale et qui constituent une forme de violence.