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Loi sur la place de l’usager dans le système de santé

 

Le point de vue
d’Alain Michel Ceretti

Président du Lien, Association de lutte, information et étude sur les infections nosocomiales

 

Quelle appréciation portez-vous sur la loi  dite « Kouchner » sur la place de l’usager dans le système de soins ?

Cette loi reprend dans beaucoup de domaines ce qui avait été demandé par les associations du CISS (Comité Inter- associatif Sur la Santé qui regroupe une quinzaine des plus grosses associations actives dans le champ sanitaire - ndlr). L’accès direct au dossier médical est une mesure importante symboliquement, mais dont il ne faut pas surestimer la portée; en pratique les choses ne changeront pas beaucoup et les rapports médecins-malades ne seront pas bouleversés. Quant à l’indemnisation de l’aléa thérapeutique, c’est une excellente disposition favorable à la fois aux patients et aux médecins, dans la mesure en particulier où elle met un coup d’arrêt à la dérive jurisprudentielle mettant en cause leur responsabilité sans faute.
Notre conception n’est en aucun cas d’opposer les patients aux médecins, mais de leur permettre d’agir ensemble pour améliorer le système de santé.


Pour certains, l’accès direct du patient à son dossier médical n’est pas sans risque ; comment évaluez-vous ces réticences ?

Certes, il y a au détour de la rédaction du projet de loi des choix de syntaxe et des tournures de phrase révélateurs d’une « résistance », mais deux principes essentiels sont posés : premièrement, l’accès direct du patient à son dossier ; deuxièmement, le fait que l’accompagnement du patient par un professionnel dans sa démarche d’information soit proposé mais non pas imposé. Pour nous, les informations qui le concernent appartiennent au patient ; il n’y avait donc pas lieu de créer de quelconque barrière ou obligation pour qu’il y ait accès.
La loi fixe un délai pour la transmission du dossier – de 8 jours à 2 mois selon que le dossier a une ancienneté de moins ou de plus de cinq ans – mais pas les sanctions applicables en cas de dépassement de ce délai, voire de non-obtention du dossier. C’est regrettable car on sait, hélas, qu’une obligation sans délai ni sanction reste souvent lettre morte.
Le corps médical est aujourd’hui assez unanime pour dire que l’accès direct du patient à son dossier est une bonne chose dans son principe, mais aussi pour penser que « tout n’est pas bon à dire... ». Beaucoup de médecins évoquent comme une réalité future et incoutournable une forme de « dossier à deux vitesses » ou encore de « double dossier », avec une partie cachée, inacessible au patient. C’est une inquiétude légitime, et relativement fondée compte tenu du texte de la loi (cf l’article 11-7). En effet, les médecins arguent de l’incertitude de certains diagnostics qui pourrait être incomprise et déstabiliser le patient. Mais nous, les associations, ne demandons pas à ce que les éléments et hypothèses qui participent au cheminement du diagnostic soient accessibles. De même, nous veillerons à ce que les informations obtenue auprès de tiers (exemple : « Mme martin confirme que son époux est alcoolique ») ne soit pas partie intégrante du dossier.
Ceux qui disent que la loi va provoquer une avalanche de demandes de dossiers ont tort. C’est grotesque, et on s’en aperçoit bien ! En fait, deux types de motivation vont guider cette demande: premièrement, celle d’un deuxième avis avant une intervention importante, ou encore la survenue d’un événement nécessitant la reconstitution du passé médical; dans ce cas de figure la communication du dossier est synonyme d’un continuum médical, lui-même condition d’une prise en charge optimale et signifiant pour le patient la préservation de toutes ces chances. Deuxièmement, la demande d’accès au dossier peut être motivé par un besoin d’éclaircissement après un accident thérapeutique. Sans dossier, la personne ne peut rien faire...et sa non-communication laisse place presque automatiquement au doute et au soupçon. De ce point de vue, l’accès au dossier sera bien un facteur d’apaisement qui ira à l’encontre d’un mouvement de judiciarisation à tout va que craignent les médecins. Car le fait d’obtenir des informations va « calmer » beaucoup de patients-plaignants en puissance qui subodoraient une mauvaise prise en charge...
Enfin, nous partageons l’inquiétude des praticiens hospitaliers quand au fait que la communication du dossier constitue une charge supplémentaire pour les services; à l’évidence, il manque aujourd’hui les moyens nécessaires et la loi doit donc être accompagnée d’un effort substantiel en terme de personnels et de logistique administrative.


Le dispositif retenu pour l’indemnisation de l’aléa thérapeutique vous convient-il ?

Le mécanisme proposé est compliqué, c’est vrai, et il est clair que l’on peut s’attendre à un afflux massif de demandes (le chiffrage est de 50 000 dossiers par an) nécessitant en retour un afflux massif d’expertise. Il faut donc un filtre rapide, efficace mais aussi, et impérativement, juste. Sur le principe, nous sommes attentifs à ce que le “pré-jugement” à l’amiable prononcé par la commission régionale ne puisse en aucun cas porté atteinte aux droits du plaignant. Nous estimons qu’il devrait y avoir un droit d’appel de la décision du Fonds d’indemnisation, comme cela existe pour les commissions de l’Assurance Maladie et de la COTOREP. Soyons clairs: nous ne réclamons une instance d’appel spécifique, mais la possibilité d’un réexamen du dossier par le Fonds. D’autre part, puisque le Fonds dispose d’un budget donné, nous serons attentifs à ce que le « critère budgétaire » ne rentre pas en ligne de compte dans ses décisions…


Il faut bien comprendre que le taux d’invalidité ne peut s’évaluer qu’en fonction de la situation médicale mais aussi sociale des personnes. Ainsi, pour prendre un exemple que je connais bien, dans l’affaire de la clinique du sport, les taux d’invalidité vont de 10 à 35 % selon les personnes victimes de la même pathologie. Le seuil d’incapacité professionnelle (IPP ou ITP) ouvrant droit à l’indemnisation a été fixé à 25%, mais toute la question réside dans la bonne appréciation du préjudice non seulement médical, mais aussi social et professionnel subi par la personne.

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