Information des malades :
une loi, un droit à positiver
Dr François Aubart, Président de la Coordination Médicale Hospitalière
La possibilité donnée aux patients de consulter directement et
facilement leur dossier médical est lune des dispositions phare
de la loi du 4 mars 2002. Celle-ci revendique la définition de nouveaux
droits pour le malade. Le droit à linformation et le droit à
laccès au dossier médical sont présentés par
Bernard Kouchner comme outil de refondation du rapport de confiance entre les
professionnels de santé et le malade.
Comment peut-on alors interpréter le fait que la communauté médicale
reste circonspecte au principe de communication du dossier ?
Pour le faire, attardons-nous un instant sur la constitution de ce dossier et
lévolution considérable quil a connue depuis 20 ans.
Il ny a pas très longtemps encore, le dossier médical était
un document manuscrit réduit à quelques notes où étaient
consignées les perceptions et les impressions personnelles du médecin.
Les faits saillants, les traits de personnalité, lenvironnement
social et familial du malade étaient plus ou moins rassemblés
sous la plume médicale. Progressivement, ces notes se sont enrichies
au fur et à mesure que le médecin avait à sa disposition,
dans sa démarche diagnostique et thérapeutique, une série
dactes complémentaires. Ainsi, les comptes-rendus de biologie,
dimagerie, ceux des explorations fonctionnelles et parfois les comptes-rendus
opératoires et anatomo-pathologiques ont rejoint le dossier médical
dont le médecin est dépositaire.
La complexité a encore été accrue par lapparition
de dossiers des autres professionnels de santé. On a vu fleurir le dossier
de soin infirmier, le dossier social, le dossier de kinésithérapie,
le dossier transfusionnel, le dossier anesthésique
Naturellement,
avec cette complexité croissante, les redondances, les incohérences
et les défauts de qualité sont apparus.
La naissance du dossier patient, du dossier du malade, vise à rassembler,
à coordonner toutes ces informations et tous ces éléments
dans un registre unique témoignant du parcours médical du patient
aujourdhui à lhôpital et demain entre lhôpital
et la ville. Mais, de façon, paradoxale, laccès à
ces dossiers était jusquau 4 mars réservé ou presque,
à la communauté des professionnels qui prenait en charge le malade
et ses maladies. Le malade ny avait éventuellement accès
par lintermédiaire de son médecin habituel.
Les réserves et les réticences de la communauté médicale
vis à vis de la communication du dossier et plus généralement
par rapport à sa communication directe tiennent à deux raisons
essentielles. Dune part, nombre de médecins oppose le secret des
notes personnelles et le risque de divulguer une information brute voire brutale.
Celle-ci pourrait alors, selon eux, accroître et non pas réduire
angoisse et incertitude qui sont lenvironnement de la maladie. Par ailleurs,
la dérive assurancielle et juridique apparaît comme une épée
de Damoclès. Certes, elle na pas véritablement gagné
la France. Cependant, elle apparaît comme un risque certain. Nombreux
sont ceux qui craignent que cette communication facile du dossier nentraîne
une multiplication des recours et des procédures juridiques. Pourtant,
cette réserve de nombreux professionnels médicaux à conserver
par de vers eux un dossier fermé et étanche est paradoxal. En
effet, la médecine quils pratiquent est ouverte, évolutive,
lieu de changement et de progrès. Dans ces conditions, la place nouvelle
donnée par le législateur à linformation du malade
et à la communication du dossier cest aussi une place nouvelle
donnée à lamélioration des pratiques et à
lamélioration des relations entre les professionnels, entre la
médecine hospitalière et la médecine de ville, entre la
médecine spécialisée et la médecine générale.
De toute évidence, pour y parvenir, plusieurs objectifs doivent
être partagés. Dabord, et comme le rappelle le professeur
Dominique Thouvenin dans son rapport à lANAES, le patient ne doit
pas être perçu comme un plaideur potentiel. Certes, la dérive
assurancielle et juridique développée notamment aux Etats-Unis
peu parasiter ce dossier. Mais la meilleure façon déviter
que le dossier médical ne conduise pas à des recours juridiques
excessifs, nest-il pas quil serve de base à des relations
de responsabilité et dinformation partagée ?
Pour ce faire, la base documentaire que constitue le dossier médical
doit être affirmée comme profondément indissociable, indivisible,
de linformation orale entre le médecin et la malade. Cette information
orale, véritable langage de médiation, doit permettre le partage
des informations sur la base de la compétence, lexplicitation des
avantages thérapeutiques avant lexplicitation de celle des risques
éventuels. Bref, ce colloque singulier où le médecin écoute,
où sont partagés les doutes, les conseils, les recommandations
et les paroles fondent la confiance partagée. Sur la base de cette information,
le dossier du malade nest plus lieu supposé de dissimulation, dexcuse
ou de recours. Il formalise et analyse, il explicite la personnalité
du patient
et donc celle des professionnels de santé quil
rédige.
Il produit de la valeur ajoutée constituée par la compétence
médicale et la compétence des professionnels qui interviennent.
Il contient enfin une synthèse « coûts-bénéfices »
des thérapeutiques engagées.
Les textes réglementaires à venir devront préciser les
modalités de communication du dossier. Ainsi, seront indiqués
le devenir des notes personnelles du médecin, celui des hypothèses
diagnostiques non formalisées et des informations concernant les tiers.
Là encore, certains brandissent le risque apparition dun dossier
à deux vitesses. Souhaitons que ces étapes de rédaction
des textes réglementaires soient aussi des étapes de débat
avec les communautés médicales pour éviter une telle issue.
Enfin, les projecteurs de la réforme braqués sur le dossier médical,
sur le dossier patient, vont conduire à en améliorer la qualité.
Les patients souffrent de plus en plus aujourdhui de pathologies chroniques
et entretiennent un rapport non plus épisodique mais durable avec la
médecine et avec les professionnels de santé. Les notions de partage
du dossier, leur utilisation dans les procédures dévaluation
et de recherche clinique, leur adaptation aux supports informatiques sont autant
dévolution inéluctable. Mais avant tout, lenjeu de
cette information partagée est de savoir si elle peut contribuer à
améliorer la confiance et donc lengagement du patient dans les
procédures qui lui sont proposées ou si au contraire, les nouvelles
dispositions risquent de parasiter la représentation du malade vis à
vis de sa maladie. Pourtant, il semble bien que cette loi marque durablement
la volonté daméliorer la transparence et donc la confiance
entre malades et médecins. La qualité du dossier médical
devrait alors en être la suite logique. Mais à tout moment, linformation
orale, partagée, la médiation quoffre le dialogue, lexplicitation
et les échanges personnels éviteront de réduire le dossier
médical à un contenu désincarné dun dossier
dont le médecin serait en quelque sorte le greffier.
La loi sur le droit des malades, en permettant au patient laccès
direct à son dossier médical, a su accompagner lévolution
de la société et probablement des mentalités. Quelque part,
il est indissociable de la mise en place dun dispositif dindemnisation
de laléa thérapeutique. En ouvrant la porte à lindemnisation
non fautive et en créant des structures régionales capables de
répondre à cette responsabilité nouvelle, la loi fait disparaître
lun des arguments essentiels qui conduisait au recours juridique de bon
nombre de patients. En effet, jusque là, seul le recours en responsabilité
pour faute permettait aux patients, en cas de litige ressenti ou avéré,
dobtenir une indemnisation.
Actuellement, moins de 8% des malades souhaitent avoir communication de leur dossier. Le succès des nouvelles dispositions législatives ne sera pas jugé à laune de lévolution de ce pourcentage. Il pourra être apprécié par la qualité du niveau de confiance perçu par les malades à légard de leur médecin tant collectivement quindividuellement.