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Quel "new deal"
... pour l’hôpital public ?

Au moment où vous lirez ces lignes,
le voile se lèvera sur le plan Mattéi « hôpital 2007 ». Mais le voile
s’est depuis bien longtemps levé
sur une institution en situation
d’instabilité majeure. Tout se passe comme si l’hôpital subissait
les conséquences du mouvement
de plaques tectoniques dont
les déplacements imprévisibles
et violents déclenchent parfois
des catastrophes.


Le premier choc de ce type est créé par l’imprévoyance en terme de démographie des professionnels de santé qui côtoie l’inadaptation de sa distribution territoriale : Imprévoyance par l’ouverture du droit à la RTT et à l’application des directives européennes sans anticipation
des flux médicaux et des flux d’infirmières ; Imprévoyance par la disparition de la moitié des internes DES et du laminage de leurs responsabilités. Quant à la distribution des professionnels, on connaît ses errances entre secteur public et privé, entre et dans les régions, entre les spécialités. Sujet récurrent pour lequel une nouvelle mission a été voulue par le Ministre. Elle ne pourra que confirmer la pathologie de distribution, le vieillissement et la féminisation de la communauté médicale ainsi que la poursuite de la chute inévitable des flux médicaux dans les années à venir. Quant aux infirmières, spécialisées ou non, le taux de vacances dans nos hôpitaux est suffisant pour témoigner de la léthargie des décideurs aggravée par des mouvements imprévus qui attirent par exemple les infirmières en Bretagne.

La répartition de l’offre de soin Française est exceptionnelle en Europe. Cette répartition constitue un deuxième conflit tectonique potentiel. La France dispose d’un système unique par sa densité d’hospitalisation privée Aucun pays en Europe ne dispose d’un pan d’hospitalisation à but lucratif aussi important. Notre offre de soin est aussi exceptionnelle par la part des spécialistes libéraux qui est de 20 % supérieure en France à la plupart des autres pays européens. Or le secteur privé lucratif se restructure violemment sous l’action des groupes d’offreurs de soins. La pompe aspirante de l’hospitalisation privée joue à plein : Elle sélectionne les médecins, les attire sur des créneaux (certains diront des parts de marché) programmés évitant les contraintes de l’urgence. Ainsi ces dernières années 20 % de la chirurgie hospitalière est passée du public au privé. Pendant ce temps les impératifs du service public exigent plus d’hommes, plus de règles sécuritaires bref plus de contraintes…

Le troisième choc tectonique est celui des pouvoirs et des responsabilités. Il ne s’agit pas ici de jeter l’anathème ou de réveiller des conflits que certains qualifient à juste titre d’archaïques. Ce numéro d’Officiel Santé contient témoignages et analyses de ces chocs de responsabilité et de l’urgence à traiter le dossier. Chacun affirme que la stratégie médicale est au cœur de l’action hospitalière mais le constat qui prévaut est que la place
du médecin à l’hôpital ressemble de plus en plus à un cadre « ingénieur médical » responsable des ventes et de la sécurité. Entre intérêt catégoriel, responsabilité, compétence il faudra bien ouvrir la boite de Pandore. Cela signifie, là encore, qu’il n’y a pas de solution magique. Nous ne pensons pas que la piste des médecins directeurs soit bonne. Nous ne pensons pas que l’indispensable indépendance médicale puisse se satisfaire de cette idée. Le contrat doit, par contre, pouvoir redéfinir et partager les responsabilités. Ce contrat ne doit pas aboutir à une partie de patate chaude ou le dernier contractualisé aura tiré la mauvaise carte et sera responsable en bout de chaîne des conséquences de l’insuffisance de moyens. Le plan hôpital 2007 peut vouloir bousculer la donne. Au travers la tarification à l’activité, au travers la responsabilisation des acteurs, au travers la déconcentration ou la décentralisation, on va voir apparaître des propositions de nouveaux équilibres, de règles nouvelles, bref un new deal. Dans ce contexte de nouveaux maîtres mots fleurissent : nouvelles gouvernances, agence régionale de santé, régionalisation. Certains font leur miel de l’appropriation
de ces concepts. Mais, l’heure n’est plus à la fascination pour des solutions reposant sur des mots clés magiques. Entre concurrence et réglementation, entre concentration et aménagement du territoire, entre région nation et territoire, entre pour ou contre l’état nous n’avons pas à choisir mais à déplacer les curseurs en fonction d’objectifs partagés sachant qu’une vraie bonne proposition peut devenir provocation par ses outrances ou, au contraire, se diluer à force de compromis.

La situation actuelle impose la réorganisation et l’action. Celle si ne doit pas s’établir sur la base d’une concurrence déloyale. L’hôpital public est anémié, fragilisé et, donc, rendu vulnérable. La généralisation de la tarification à la pathologie donnerait un coup fatal au service public hospitalier. Les hôpitaux coûtent plus cher que les cliniques. Cela est sur et n’est pas étonnant. Comme le rappelle Gérard Vincent, délégué général de la FHF, le personnel y est plus nombreux, plus formé, plus qualifié. Ajoutons que c’est sur l’hôpital public que pèse l’essentiel des contraintes liées à la prise en charge des urgences. Pour autant chacun sait que l’absence d’indicateur d’activité, que le poids de règles et réglementations excessives ne peut perdurer. Le curseur doit donc être déplacé. Le financement incluant une référence à l’activité et à la qualité, l’intéressement ne sont pour nous ni tabou ni ne constituent une solution exclusive. Nous devons chercher une voie nouvelle en acceptant le risque du changement pour créer de nouvelles
organisations. Des territoires nouveaux, de nouvelles autonomies doivent être définies. Pour autant, la décentralisation ne doit pas aboutir à la transformation de l’hôpital en grande surface des actes de soins où le médecin serait devenu responsable des ventes. L’hôpital vit à crédit avec des reports de charges de plus en plus préoccupants. La rupture est souvent évitée par l’intervention de ce que certains appellent des personnes ressources et qui sont les sherpas de l’hôpital. Au moment où le télescopage des calendriers de mise en place de la RTT, des directives européennes,
des plans d’investissements hospitaliers se comportent comme autant de conséquences de mouvements des plaques tectoniques que nous évoquions
précédemment, on peut se demander, enfin, si le calendrier d’un plan pour 2007 est le bon.

Professeur Gilles Aulagner,
président du SNPHPU


Docteur François Aubart,
président de la Coordination médicale hospitalière (CMH)

Officiel Santé • Septembre / Octobre 2002

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