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comment limiter
l’excroissance
des administrations de la santé

par le Pr. Laurent Degos;
chef du service d’hématologie, hôpital Saint-Louis, AP-HP

Dans la plupart des entreprises, des administrateurs sont employés pour alléger la charge de travail des autres salariés par le biais du management administratif. C’est loin d’être le cas des gestionnaires de santé, qui tendent à augmenter la charge de travail des praticiens. On attend des médecins, maintenant plus que jamais, qu’ils jouent un rôle dans le travail quotidien de l’administration hospitalière. Les professionnels de santé aident les administrateurs en remplissant des formulaires et des questionnaires, en participant à de nombreuses commissions et en supervisant la bonne marche de l’ensemble.
Les gestionnaires, maintenant, contrôlent le management des organismes de santé et c’est devenu une pratique courante de supprimer progressivement des postes tenus par ceux qui dispensent les soins pour créer des postes pour des administratifs. Entre 1970 et 1982, aux Etats-Unis, au moment où le nombre des médecins augmentait de 50 %, le nombre de gestionnaires de santé augmentait lui de 171 %. En 1987, le coût de l’administration représentait 20 % des dépenses totales hospitalières. En 1968, les hôpitaux américains employaient 435 000 gestionnaires pour aider à la prise en charge de 1 387 000 patients. Dès 1990, le nombre de gestionnaires avait augmenté jusqu’à compter 1 221 000 personnes pour prendre en charge 853 000 patients. En 2000, les compagnies d’assurance privées ont dépensé 30 % de leur budget en management et tâches administratives.
Les administrations de santé ne se contentent pas d’exercer des responsabilités dans la gestion financière, ils ont aussi pris la direction des ressources humaines, de la rénovation des hôpitaux, du choix du matériel hospitalier, de l’exécution des procédures hospitalières, des relations publiques, des questions de sécurité, et ainsi de suite. De nouvelles réglementations et par conséquent de nouveaux services naissent chaque jour à un point tel que pour les médecins, l’arbre finit par cacher la forêt. Cette jungle administrative a étendu ses branches à tous les aspects du traitement du malade, de la recherche et de l’enseignement.
Les services de gestion n’ont pas seulement fleuri au sein même des hôpitaux mais ils se sont développés “hors les murs” puisque des structures de coordination inter-hopitaux au niveau de la ville, des régions, de l’état, au niveau national et international sont crées d’une façon régulière. La coordination des hôpitaux est une préoccupation des gestionnaires mais on peut y ajouter une liste infinie de contrôles dont l’accréditation et le contrôle de qualité. Non contents de veiller sur l’environnement de l’hôpital, les gestionnaires de santé ont aussi crée des services et emploient plus de personnes encore pour contrôler leur propre travail par le biais d’audits internes et d’inspections. A coté de ces importantes structures administratives, d’autres agences gouvernementales sont mises en place pour compliquer encore le travail des prestataires de soin, qui sont continuellement convoqués, questionnés et interrogés.
Le temps consacré par les médecins aux tâches administratives est devenu disproportionné par rapport au temps qu’ils passent à soigner les malades. Ceci parce que les gestionnaires de santé n’ont pas l’idée de leur propre fin. Une fois qu’ils ont crée “une raison d’être”, ils continuent à fonctionner bien que leur mission soit achevée.
Considérant leur absence de rôle clair et fonctionnel, leur manque d’auto réflexion et leur prolifération sans fin annoncée, on se doit de considérer l’augmentation des gestionnaires de soin comme une tumeur maligne. En fait, le nombre de gestionnaires est correct lorsque leur travail complète et soulage celui des médecins.
Cependant, lorsque les prestataires de soin doivent prendre sur le temps qu’ils consacrent aux malades pour compléter des formulaires, des questionnaires ou participer à des réunions et des commissions, ils doivent se demander s’ils sont aidés ou bien gênés par l’omniprésence des gestionnaires de santé.

Note : Cet article est paru (en anglais) dans The Hematology Journal.

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