Rêve ou Cauchemar :
la nouvelle dispensation
pharmaceutique hospitalière externe
par le Professeur Gilles Aulagner
Agacé par les multiples difficultés rencontrées par mes collègues hospitaliers dans le domaine de la dispensation des médicaments aux patients non hospitalisé et par des recours en Conseil d’Etat, auxquels nous n’adhérons pas, déposés pour annuler des circulaires ministérielles qui sont un modèle de stupidité administrative, mais aussi scandalisé par l’attitude irresponsable des tutelles ministérielles et de la CNAMTS, en matière de non-reconnaissance de l’effort consenti par les pharmacies hospitalières pour pallier les insuffisances du système de santé français à mettre à disposition des patients des médicaments essentiels à leur santé, dans des conditions de sécurité sanitaire optimales, je m’essayais à rédiger la note de présentation du futur décret qui devait être pris en application de la Loi du 8 décembre 1992, portant organisation de la pharmacie hospitalière. On peut toujours rêver.
« Le législateur a prévu pour les établissements de santé la possibilité de disposer d’une pharmacie limitée à l’usage particulier des malades hospitalisés. Toutefois, par dérogation à cette disposition, le code de la santé prévoit que, dans l’intérêt de la santé publique, le ministre chargé de la santé arrête la liste des médicaments que certains établissements de santé disposant d’une pharmacie sont autorisés à dispensé au public au détail.
Les pouvoirs publics reconnaissant l’importance des services rendus à la santé publique par les pharmacies des établissements de santé, au cours des vingt dernières années, qu’il s’agisse de la mise à disposition des médicaments anti-rejet, de leur participation à la lutte contre le sida, de la traçabilité mise en œuvre dans la dispensation des médicaments dérivés du sang, dans la dispensation des nutriments destinés aux patients atteints de maladies métaboliques rares, dans l’aide apportée à l’autorité sanitaire pour gérer les médicaments faisant l’objet de mise sur le marché anticipée pour satisfaire à des besoins de santé publique immédiats et de la dispensation de nombreux médicaments dont la nature ou la disponibilité justifie la mobilisation de spécialistes à même de conseiller les patients pour assurer une prise en charge pharmaceutique spécifique et une observance améliorée, ont considéré que le maillon de la dispensation pharmaceutique hospitalière externe (DPHE) constituait une mission institutionnelle de l’hôpital qu’il convenait dorénavant d’organiser pour créer un réseau de prise en charge globale des patients, au regard de l’accès de la population à toutes les thérapeutiques médicamenteuses ainsi qu’aux dispositifs médicaux. stériles
Ces nouvelles dispositions réglementaires doivent se comprendre non comme une concurrence nouvelle entre l’hôpital et le secteur ambulatoire, mais comme une complémentarité qui permet, tout en limitant la durée des hospitalisations, d’assurer une continuité des traitements tant au regard du traitement de sortie d’hospitalisation, que de sa compatibilité avec les thérapeutiques dont le patient bénéficiait avant son hospitalisation.
Elles instituent le principe d’un dossier pharmaceutique-patient que le praticien hospitalier pharmacien a la charge de transmettre à son collègue libéral, pour autant que le patient le souhaite à l’occasion de la primo-dispensation du traitement de sortie qui est instituée par le nouveau texte. Il est en effet apparu à l’expérience aux associations de patients comme aux pharmaciens et prescripteurs en charge de réseaux, qu’un risque iatrogénique majeur était encouru par nombre de patients à l’occasion de leur sortie d’hospitalisation. De plus, il convient de limiter le double inconvénient que constitue la fréquente non-disponibilité immédiate de certaines spécialités lors du retour du patient à son domicile (surtout à la veille des week-end) ou l’avance non facturable de médicaments par l’établissement de santé en sortie d’hospitalisation, dans le contexte actuel.
Les pharmacies hospitalières sont appelées à organiser des espaces de confidentialité pour recevoir les patients auxquels elles dispensent les médicaments particulièrement destinés à ceux qui souhaitent disposer d’un lieu de consultation personnalisée, permettant une meilleure prise en charge personnelle de leur thérapeutique, notamment dans le domaine des effets secondaires, en complément du dialogue offert par le prescripteur. La disposition législative récente autorisant les pharmacies hospitalières à recruter ponctuellement des vacataires pharmaciens, issues de l’officine, doit permettre de favoriser les liens officine-hôpital et disposer d’une assistance pharmaceutique adaptée, notamment pour les petites structures hospitalières.
A ces dispositions générales destinées à la mise en œuvre d’un réseau de soins dans le domaine pharmaceutique, la pharmacie hospitalière doit assurer la mission de service public de mise à disposition des médicaments (spécialités, autorisations temporaires d’utilisation, préparations hospitalières,…) non disponibles en officine de ville dont la liste est établie par une commission quadripartite constituée de représentants d’associations de malades, de médecins prescripteurs, de pharmaciens officinaux et hospitaliers, spécialisés dans la prise en charge thérapeutique sous l’égide de l’AFSSaPS. Cette liste sera complétée par les médicaments pour lesquels la nécessité d’un double circuit (par l’officine ou par la pharmacie hospitalière) s’impose.
Un arrêté fixe les modalités financières de ces dispensations hospitalières. Le caractère non commercial de cette dispensation hospitalière conduit à fixer la rétribution de l’acte pharmaceutique au niveau de la consultation médicale spécialisée, soit actuellement 23 euros par ordonnance délivrée, quel que soit le nombre de produits prescrits. Ces recettes dégagées devront être affectées au budget pharmaceutique que le pharmacien gérant pourra mobiliser, pour couvrir les coûts d’exploitation de la dispensation hospitalière.
Conscient du risque que constitue l’iatrogénie médicamenteuse, le gouvernement s’engage à y porter remède par le concours des professionnels de la santé et en y associant le patient, acteur de plein droit de sa santé. Ces mesures d’application immédiate ont le mérite de responsabiliser patient, dispensateur et prescripteur dans une logique renforcée de sécurité sanitaire. On peut en escompter une maîtrise médicalisée de la prescription, sans faire appel à des contrôles abusifs ou à une maîtrise comptable. »
Je terminais d’écrire ces lignes quand mon télécopieur sonna pour me rappeler à la réalité : il me délivrait un projet de décret « soumis à concertation », par la Direction Générale de la Santé. Un véritable cauchemar !
Le sentiment
de stupeur est en dessous
de la réalité !
Alors qu’on aurait pu penser qu’un décret
sur la vente des médicaments au public par les établissements
hospitaliers, attendu depuis presque dix ans et qui a fait l’objet d’un
groupe de travail ministériel sous le ministre Durieux dont il n’a
été tenu aucun compte, aurait pu se bonifier au fil de longues
années d’attente, on doit constater que la tutelle administrative
n’a accouché que d’un texte sec, sans aucune véritable
préoccupation de santé publique, ni de sécurité
sanitaire, au motif notamment que les pharmacies d’officine détiennent
le monopôle légal de la vente des médicaments. Ainsi pour
défendre un monopôle que personne ne conteste dans son principe,
la Direction Générale de la Santé construit une «
usine à gaz ».
Ami prescripteur, Saches que tu devras à l’avenir transporter dans ta sacoche les deux gros livres rouges : le VIDAL et le Code de la Santé Dalloz ! Mis à part l’aspirine et le paracétamol, tu devras connaître les listes de médicaments à prescription restreinte, à savoir les médicaments réservés à l’usage hospitalier, les médicaments à prescription initiales hospitalière, les médicaments nécessitant une surveillance particulière pendant le traitement, les médicaments à prescription hospitalière, les médicaments à prescription réservée à un médecin spécialiste, auxquels il convient d’ajouter les médicaments d’exception (où le remboursement n’intervient que sur engagement médical de respecter l’indication de l’AMM). Bonjour la simplicité ! Mais creusons un peu : un des articles du futur décret permet au directeur de l’AFSSaPS de modifier d’office l’AMM d’un médicament en vue de son classement dans une catégorie de prescription restreinte. Vive la mise à jour permanente des connaissances. Et de plus qu’est-ce que cela a à voir avec la dispensation pharmaceutique hospitalière externe, objet du décret Où était le bon temps des tableaux des substances vénéneuses de nos pères ?
Comme le pouvoir réglementaire semble persuadé
que la moyenne des prescripteurs n’intégrera pas les différentes
catégories de médicaments et de prescripteurs habilités
dans chacun de ces cas, le pharmacien d’officine devra « s’assurer
de la qualification ou du titre du prescripteur,… de la présentation
simultanée de l’ordonnance de renouvellement en même temps
que l’ordonnance initiale,… ou encore de la spécialité
du prescripteur. »
Voudrait-on apporter la confusion et l’ambiguïté entre la
prescription médicale et la dispensation pharmaceutique, que l’on
ne s’y prendrait pas autrement.
Une liste à la Prévert
« Peuvent être inscrits sur la Liste, les
médicaments, destinés à des patients pouvant être
traités sans hospitalisation, dont la délivrance au public par
la pharmacie à usage intérieur d’un établissement
de santé répond à l’intérêt des malades
pour des raisons tenant notamment à des contraintes de dispensation,
à la sécurité de l’approvisionnement, au fait que
le médicament est préférentiellement administré
dans les établissements de santé ou la nécessité
d’effectuer un suivi particulier de la prescription ou de la délivrance
de ces médicaments… ainsi que les médicaments bénéficiant
d’une autorisation temporaire, les préparations hospitalières,
les préparations magistrales, les médicaments bénéficiant
d’une autorisation d’importation ».
Chacun l’aura compris, on ne confit pas la dispensation
des médicaments aux patients non hospitalisés à la pharmacie
hospitalière, pour améliorer la prise en charge des patients
ou lutter contre le risque iatrogénique, mais pour pallier les problèmes
d’intendance liés à une démission ou une insuffisance
de certains des acteurs de la santé. Comment accepter sans réagir
que ceux qui ont en charge d’être les gardiens nationaux de la
santé publique, ignorent à ce point le rôle joué
par les pharmacies hospitalières, parfois au dépens de leurs
missions strictement hospitalières.
De plus, combien d’établissements de santé publics et
privés accepteront de continuer à remplir cette mission en tenant
en stock une collection complète des médicaments fort coûteux
de la Liste, pour une disponibilité immédiate puisqu’il
ne s’agit plus d’une mission obligatoire pour les hôpitaux
et que les conditions de rétribution sont minimalistes au regard de
la marge commerciale des pharmacies d’officine qui, elles, ne disposent
pas le plus souvent en stock ces médicaments dit « du double
circuit » et ne fournissent pas le même niveau de prestation que
la pharmacie hospitalière.
Alors que l’administration a créé un désordre sans vergogne en décidant arbitrairement de modifier la rétribution de l’acte pharmaceutique, en imposant une marge de 15 %, puis de 0 % mais aussi de 100 francs par ligne de prescription, selon les produits ou les périodes sans aucune compensation pour les pharmacies hospitalières. Aujourd’hui, l’administration propose une marge de 15 euros par ligne de principe actif prescrit et soumet le prix cumulé du médicament et de la marge à la TVA.
Voilà comment par une série de contre sens successifs, l’administration française est en train de détruire le seul modèle qui permettrait de rénover l’exercice pharmaceutique, d’une part au regard d’une complémentarité institutionnalisée entre la ville et l’hôpital et d’autre part en mettant en oeuvre une prise en charge globale des patients.
S’il s’agit d’une frilosité administrative, faudra-t-il encore faire appel au législateur pour lever les obstacles que semblent voir les tutelles dans l’architecture législative et réglementaire actuelle ?
Espérons que la Direction Générale de la Santé saura revoir sa copie, avant de publier ce texte.