Tribune libre : mon témoignage sur l’hôpital public
par le Pr Henri Kreis
Ce texte a été présenté
par son auteur à la Commmision des affaires sociales de l’Assemblée
Nationale le 17 septembre dernier.
Témoignage, car j’ai consacré plus de 40 ans de ma vie
à l’hôpital public. Externe des Hôpitaux 1 an avant
la loi Debré instaurant le plein temps hospitalier, j’ai assisté
à la renaissance de la médecine Française qui, de philosophique
et littéraire devint scientifique, efficace et humaine. Elle retrouva
alors la réputation internationale qu’elle était entrain
de perdre. Cela grâce a des hommes tels Robert Debré, Jean Bernard,
Jean Hamburger, Georges Mathé, René Fauvert, Jean Lenègre,
François Lhermitte, Jean Dausset et quelques autres. A la tête
de très grosses structures hospitalo-universitaires ils ont été
les responsables du développement de la médecine française,
de la qualité de l’hôpital et de la recherche clinique,
de la mise en place d’une morale au service du malade.
Mandarins, certes ; mais mandarins éclairés. Ce sont eux et
leurs élèves, formés selon l’intransigeante rigueur
scientifique et morale qui fut la leur, qui furent les responsables de la
réputation des hôpitaux français.
Survint mai 1968. Sous un masque de soit-disant liberté, ce fut progressivement
le triomphe de la médiocratie, du tout pour tous. Lentement mais sûrement,
à partir du début des années quatre-vingt, les empires
hospitaliers furent démantelés, balkanisés. L’administration,
lasse d’être trop souvent méprisée par ces hospitaliers,
peut-être trop conscients de leur indiscutable supériorité,
encouragea ce démantèlement.
Plus de mandarins, mais aussi de moins en moins de responsabilité pour
les innombrables chefs de petits services auxquels fut retiré tout
pouvoir décisionnaire, non seulement sur les orientations de l’hôpital,
mais également sur celles de leur propre service, de leur personnel
infirmier et même médical. A tel point que la fonction de chef
de service cessa d’être rémunérée !
Exit le Chef de Service. Le pouvoir décisionnel hospitalier, sur tout,
non seulement la gestion du budget et du personnel, infirmier et médical,
mais également le projet médical fut accaparé par l’administration.
Naturellement incompétent dans le domaine médical, le pouvoir
exclusivement administratif, n’ayant d’ambition médicale
qu’en termes de maîtrise comptable des dépenses, nous conduisit
à la dramatique situation actuelle. Le coup de grâce vient d’être
donné à nos hôpitaux par les dernières réformes
démagogiques et sécuritaires que sont la RTT et le repos de
sécurité. Mais que l’on ne se leurre pas ! RTT et repos
de sécurité ne sont pas les causes du déclin de l’hôpital
public. Elles sont simplement entrain d’accélérer et de
parfaire un processus commencé il y a une vingtaine d’années
; leur apporter une solution, certes indispensable, ne suffira en aucune manière
à le renverser.
Heureusement, jusqu’à ce jour encore, ce sont des médecins,
formés pour la plupart entre 1960 et 1980 par ces mandarins tellement
décriés, qui ont réussi à maintenir, envers et
contre tous, une certaine qualité de la médecine hospitalière
française. Elevés sans apprendre à compter le temps,
en considérant leur mission non comme un travail dont il faut se libérer
mais simplement comme leur vie, ils ont réussi à faire que l’hôpital
français soit encore l’un des meilleurs du monde. Seuls les initiés
savent que cet acharnement, dont ils sont les uniques responsables même
si l’administration a une certaine tendance à s’en approprier
les fruits, s’exerce dans un bateau qui coule. Cet acharnement est en
train de disparaître avec eux, révélant l’état
lamentable de l’embarcation devant un parterre médusé.
Le diagnostic des différentes pathologies dont se meurent aujourd’hui
nos hôpitaux est facile à faire. La thérapeutique, certes
d’application complexe, peu encore être efficace ; mais il faut
faire vite. Pour cela, il faut :
Donner à l’hôpital public (restructuré en quelques
grands groupes hospitaliers dans une région comme l’Ile-de-France)
une autonomie de gestion, du style Hôpitaux Privé PSPH, par exemple,
avec contrat d’objectifs et de moyens. (Négocié aujourd’hui
avec l’ARH, ou mieux demain avec la Direction Régionale de la
Santé, émanation de la DGS). Mais, ce nouvel hôpital public,
conservera les missions et objectifs du service public, et notamment la prise
en charge des urgences, de la formation et de la recherche.
Redonner un pouvoir décisionnel aux soignants ainsi qu’aux malades,
c’est-à-dire aux usagers. Pour ce faire, il est indispensable
de modifier la composition du CA de l’hôpital qui doit devenir
le seul centre décisionnel : augmenter le nombre des soignants et des
représentants des usagers et diminuer considérablement la participation
de l’Etat et des collectivités territoriales, qui n’ont
rien à faire au CA des hôpitaux. L’Etat décide des
budgets de la Santé et l’hôpital autonome négocie
ses objectifs et son budget avec l’Etat et les Caisses.
Repenser la direction de l’hôpital qui ne doit plus être
exclusivement administrative. On peut, pour parvenir à cela, envisager
3 hypothèses :
1) Un Médecin Directeur, sélectionné et nommé
par le Conseil d’Administration, assisté d’un Directeur
Administratif adjoint
2) Une Co-direction Administrative et Médicale avec cosignature pour
toutes les décisions importantes et délégation pour les
autres.
3) Un Directeur Médical nommé par le CA, adjoint au Directeur
Administratif.
Arrêter de la balkanisation des hôpitaux et des services.
Rétablir de grandes structures médicales (5 à 10 par
hôpital)
Redonner une véritable autorité aux chefs de ces grands ensembles,
qu’on les appelle services, pôles ou départements peu importe.
Contractualiser la fonction de chef de service, dotée d’une véritable
autonomie : c’est le chef de service qui doit définir son projet
médical, gérer réellement le budget du service ainsi
que le personnel médical et infirmier. Cela bien sûr en fonction
des objectifs contractuels dont il devra rendre compte à terme (tous
les 5 ans par exemple).
Cette thérapeutique, qu’il faut appliquer d’urgence, peut
se résumer en une seule phrase ; c’est la création de
véritables centres de responsabilités au sein d’un hôpital
public autonome sous contrôle des soignants et des usagers avec l’aide
d’une administration œuvrant pour le développement d’une
médecine de grande qualité scientifique et humaine.